Du soliloque au dialogue
Le Protocole 16 à la Convention européenne des droits de l‘Homme
Florence Benoit-Rohmer
Professeur à l’Université de Strasbourg
A n’en point douter, l’entrée en vigueur du protocole 16 à la Convention européenne suite à sa ratification par la France le 12 avril 2018 marque une nouvelle étape dans l’histoire de la Convention européenne des droits de l’homme, voire une métamorphose du système sur lequel elle est fondé[1]. Le Protocole instaure un système optionnel d’avis consultatif qui doit permettre aux juridictions nationales suprêmes qui le souhaitent, d’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis concernant l’interprétation ou l’application de la Convention[2]. Il reconnaît en effet la faculté aux plus hautes juridictionsdes Etats partiesd’ « adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifssur des questions de principes relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention et ses protocoles » (Article 1er §1 du Protocole n°16).
Le nouveau Protocole élargit ainsi la compétence consultative de la Cour qui jusqu’à présent était strictement encadrée par le Protocole no2 à la Convention dont les dispositions sont à présent intégrées aux articles 47 et 49 de la Convention[3]. En effet, en vertu de ces articles 47 à 49 de la Convention, la Cour peut actuellement rendre des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles, à condition que ces avis ne portent ni sur des questions ayant trait au contenu ou à l’étendue des droits et libertés définis au titre 1 de la Convention, ni sur les autres questions qui pourraient surgir dans le cadre d’une procédure contentieuse introduite en vertu des articles 33 ou 34 de la Convention[4]. De plus, seul le Comité des Ministres peut solliciter un avis consultatif de la Cour qui doit le rendre à la majorité des voix ou, si elle considère que la demande ne relève pas de sa compétence, rejeter la demande par une décision motivée. Depuis l’introduction de sa compétence consultative, la Cour n’a rendu que deux avis consultatifs (tous deux concernant l’élection des juges de la Cour) et une décision constatant que la demande ne relevait pas de sa compétence.[5]
Si l’extension de la compétence consultative de la Cour avait été envisagée de longue date, c’était sans compter ses nombreux détracteurs qui s’offusquaient d’une possible confusion des genres entre une procédure contentieuse contraignante et une procédure consultative facultative. Différentes tentatives avaient pourtant eu lieu, mais elles s’étaient toutes soldées par un échec. Une telle idée avait été suggérée dès 1953 puis reprise en 1962 à l’initiative de la Cour. Le mécanisme souhaité par celle-ci aurait dû lui permettre de statuer, à titre préjudiciel, sur toute question d’interprétation des dispositions de la Convention se posant dans le cadre d’une affaire pendante devant une juridiction nationale de dernier ressort[6]et de lui donner la possibilité de donner un avis consultatif à la demande du gouvernement d’une Partie contractante sur toute question d’interprétation de la Convention que pose un projet de loi ou de décret à l’examen devant les autorités nationales compétentes[7]. Le Comité des Ministres avait toutefois décidé à l’époque qu’il n’y avait pas lieu d’élargir la compétence consultative de la Cour pour des raisons similaires à celles invoquées aujourd’hui par les opposants au Protocole 16[8].
En 2006, l’idée d’élargir la compétence consultative de la Cour avait été reprise sans grande conviction par le Groupe des Sages chargé d’examiner l’efficacité à long terme du mécanisme de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme[9]. Cette proposition fût à nouveau retenue à l’occasion de la conférence d’Izmir sur l‘avenir de la Cour européenne des droits de l’homme[10]. C’est toutefois à la conférence de Brighton initiée à la demande du Royaume Uni pour renforcer le principe de subsidiarité, qu’a été donné le coup d’envoi en invitant le Comité des Ministres à rédiger le texte d‘un protocole facultatif à la Convention d’ici la fin de 2013. Il est vrai que peu avant la Conférence de Brighton, la Cour avait donné sa caution en déclarant ne pas être « opposée en principe à l’introduction d’une procédure d’avis consultatif », même si elle estimait que la procédure méritait encore quelques réflexions[11]. Le Comité Directeur pour les Droits de l’Homme s’est attelé à la rédaction du nouveau Protocole qui a été approuvé par le Comité des Ministres le 10 juillet 2013. L’ouverture à la signature par les États a été fixée au 2 octobre 2013.
Le Protocole 16 est entré en vigueur suite à sa ratification par 10 Etats Parties à la Convention. Il présente les caractéristiques d’un protocole d’amendement (ou de procédure) à la Convention car il lui apporte certaines modifications procédurales. Or jusqu’à présent, les protocoles d’amendement devaient être ratifiés par tous les Etats parties à la Convention pour entrer en vigueur. Il a pourtant été décidé à titre exceptionnel que le protocole 16 entrerait en vigueur après 10 ratifications et seulement à l’égard des Etats ayant souhaité le ratifier. Une telle dérogation se justifie par le souci d’accélérer son entrée en vigueur, mais aussi par le souhait de laisser les Etats libres d’autoriser ou non leurs juridictions à demander des avis consultatifs à la Cour. En conséquence, le texte de la Convention restera inchangé et les dispositions du Protocole seront simplement considérées comme additionnelles à la Convention pour les Etats qui l’auront ratifié[12].
Le protocole 16 permet de renforcer la compétence consultative de la Cour, laquelle était jusqu’à présent réduite à sa plus simple expression. Baptisé “Protocole de dialogue” par l’ancien Président de la Cour Dean Spielmann[13], le nouveau protocole donne un fondement tangible au dialogue entre la Cour et les juridictions nationales. Il institutionnalise le dialogue avec ces dernières et les place en situation de régler elles-mêmes, grâce à l’avis de la Cour, les questions suscitées par l’interprétation ou l’application de la Convention européenne des droits de l’homme (I). Mais il le fait de façon ordonnée afin de permettre à la Cour de gérer efficacement cette nouvelle procédure (II).
- Un dialogue renforcé entre la Cour et les juridictions nationales
Le Président Spielmann affirmait que « Le dialogue avec les juridictions nationales fait partie de l’ADN de la Cour ». Pourtant, celui-ci avait été longtemps délaissé et se limitait àdes rencontres régulières mais informelles entre les membres de la Cour et les juges des Etats parties à la Convention. Le besoin d’approfondir les échanges s’étant fait récemment ressentir, un réseau d’échange d’informations entre la Cour et les cours suprêmes a été mis en place en 2015 afin de mieux coordonner leurs jurisprudences, de favoriser l’interaction entre celles, avec l’objectif de permettre à plus long terme de favoriser une appropriation nationale de l’approche européenne globale des droits de l’homme[14].
Ce dialogue a parfois été contraint comme ce fut le cas notamment dans le conflit qui a opposé la Cour de Strasbourg à la Cour suprême du Royaume Uni. Cette dernière avait décidé dans une affaire concernant le principe de la preuve par ouï-dire dene pas se conformer à un arrêt de chambre et d’inviter les autorités nationales à saisir la Grande chambre sur le fondement de l’article 43 de la Convention, car il lui semblait que la Cour strasbourgeoise n’avait pas bien compris ou suffisamment pris en compte le particularisme du droit anglais[15]. Ce type de bras de fer n’est à l’évidence guère satisfaisant etle protocole 16 est précisément intervenu pour faciliter le dialogue entre les juridictions nationales et la Cour.
Avec le protocole 16, ce dialogue sera non seulement constructif, mais il renforcera l’autorité tant de la Cour que des juridictions nationales, tout en laissant à ces dernières une certaine marge de manœuvre.
A. Un dialogue constructif et loyal
Dans le système actuel de la Convention, rares sont les cas de dialogue entre la Cour et le juge national[16]. Par le jeu de l’épuisement des voies de recours interne, les juridictions suprêmes sont en ligne de mire et encourent le risque de se voir montrées du doigt pour avoir mal interprété ou mal appliqué la Convention. L’idée sous-jacente au Protocole 16 est de compléter le système “répressif” actuel par un système préventif qui évitera la sanction par le dialogue entre les juges. Le nouveau mécanisme instaure en effet entre la Cour et la juridiction nationale qui l’a saisie un dialogue direct qui doit permettre de résoudre, avant toute saisine contentieuse, les difficultés d’interprétation de la Convention auxquelles la juridiction nationale est confrontée. Il évitera ainsi aux hautes juridictions de se voir ensuite démentir par la CourEDH.
- Ce dialogue ne doit pas être fondé sur une méfiance systématique mais au contraire sur « un art de la convergence concertée et un esprit de bienveillance mutuelle »[17]et chacun doit être prêt à éventuellement revenir sur une jurisprudence qui fait l’objet de critiques au niveau européen ou national. Le succès de la réforme dépendra de la déférence que la Cour saura montrer aux juridictions nationales et de l’effort pédagogique qu’elle effectuera pour justifier son point de vue afin d’instaurer la confiance nécessaire pour faire accepter l’avis qu’elle a rendu.
Le dialogue s’ouvre sur une présentation par la juridiction nationale du contexte factuel et juridique de l’affaire, des questions pertinentes relatives à la Convention, en particulier les droits ou libertés en jeu et si cela est pertinent d’un résumé des arguments des parties à la procédure interne sur la question et d’un exposé de son analyse et de son propre avis sur la question.
Le dialogue est enrichi par la possibilité reconnue au Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe [18]et à la Haute Partie contractante dont relève la juridiction qui a procédé́ à la demande de présenter des observations écrites et de prendre part aux audiences. De plus, le Président de la Cour peut inviter toute autre Haute Partie contractante ou personne à faire de même dans d’intérêt d’une bonne administration de la justice. En application du principe d’égalité des armes, la Cour a indiqué qu’elle estime indispensable que les parties à la procédure puissent prendre part elles aussi à celle-ci et cette obligation a été introduite dans son règlement intérieur[19].
- La motivation de l’avis rendu par la Cour joue dans ce système un rôle primordial car expliquer de manière claire et rationnelle le raisonnement de la Cour fait partie intégrante du dialogue entre la Cour et les plus hautes juridictions nationales. La possibilité donnée aux juges de la Grande Chambre de s’exprimer au travers d’une opinion concordante ou dissidente doit prouver que toutes les options ont été envisagées et discutées par la Cour et que le dialogue a bien été réel. C’est aussi au travers de la motivation que la Cour démontrera à la juridiction qui l‘a saisie qu’elle a pris au sérieux les arguments invoqués devant elle. En effet, quand une juridiction décide de saisir la Cour, elle s’attend à une réponse utile pour la solution du litige pendant devant elle et il est fort possible qu’elle ne saisisse pas la Cour si elle considère comme probable que la réponse de la Cour ne correspond pas à ce qu’elle souhaite, et qu’au contraire, elle utilise le mécanisme lorsqu’elle présume que la réponse renforcera sa position face aux autres pouvoirs ou à l’opinion publique. L’intérêt de la demande d’avis est évident lorsque le juge national est confronté à une question qui divise profondément l’opinion d’un Etat et ses formations politiques. Connaître la position de la Cour avant de trancher au fond n’éclairera pas seulement son délibéré, mais renforcera le cas échéant sa position.
A une époque où certaines juridictions nationales contestent l’absence d’ouverture de la Cour de Strasbourg à leur égard et où certains hommes politiques se livrent à du « Strasbourg bashing[20] », l’entrée en vigueur du protocole 16 permettra ainsi de positiver le dialogue avec la Cour afin d’améliorer la compréhension de sa jurisprudence et d’assurer la cohérence des décisions rendues par les juridictions nationales au regard de la jurisprudence européenne.
B. Un dialogue qui renforce tant les autorités nationales que la Cour
Outre le renforcement du dialogue entre les juges, le nouveau mécanisme présente un autre avantage indéniable, celui de réduire les conflits entre la Cour et les Etats. La jurisprudence de la Cour est en effet critiquée par certains Etats mais aussi par certains juges soit parce qu’elle ne va pas assez loin dans ses constats de violation dans les matières sensibles pour les intérêts des Etats parties[21]soit au contraire, parce qu’elle ne reconnait pas une marge d’appréciation suffisamment importante aux Etats parties dans l’application de la Convention[22].
- Avec la nouvelle procédure consultative, la légitimité de la jurisprudence de la Cour sera moins remise en question et les susceptibilités nationales seront réduites puisque le litige sera au final réglé par la juridiction nationale. En effet il est politiquement bien plus aisé pour les autorités nationales d’accepter un arrêt qui émane formellement d’un juge national plutôt que d’une autorité juridictionnelle extérieure. La mise en œuvre de la jurisprudence de la Cour sera de la sorte facilitée puisque la décision ultime de mise en œuvre de l’avis appartiendra à la juridiction nationale suprême et sera dotée de l’autorité de chose jugée. L’exécution s’effectuera immédiatement selon les modalités du droit interne et les moyens contraignants offerts par celui-ci sans qu’il soit besoin d’avoir recours au mécanisme à l’efficacité incertaine de mise en œuvre des arrêts de la Cour par le Comité des Ministres.
L’autorité de la Cour doit s’en trouver renforcée dans la mesure où elle sera appelée à se concentrer exclusivement sur l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme et à rendre des « décisions de principe » ouvrant la voie à une amélioration progressive et concertée du niveau de protection des droits de l’homme en Europe, faisant de la Convention un instrument vivant au service de l’Etat de droit.
Ce d’autant plus que, comme l’indique le rapport explicatif, si les avis consultatifs sont supposésn’avoir aucun effet direct sur les requêtes ultérieures, ils bénéficieront toutefois d’une certaine autorité car ils s’insèreront « dans la jurisprudence de la Cour aux côtés de ses arrêts et décisions. L’interprétation de la Convention et de ses protocoles contenue dans ses avis consultatifs est analogue dans ses effets aux éléments interprétatifs établis par la Cour dans ses arrêts et décisions »[23]. La Cour pourra invoquer ses avis dans ses arrêts et décisions voire se fonder sur ceux-ci au contentieux pour conforter les principes sur lesquels se fonde sa jurisprudence (et vice versa) ou pour faire évoluer celle-ci.
- Le nouveau mécanisme présentera en outre l’intérêt de réduiredrastiquement le contentieux des affaires répétitives quiencombre le prétoire de la Cour. La Cour estime en effet que plus de la moitié des requêtes introduites devant elle sont de nature répétitive, c’est à dire qu’elles posent des questions sur lesquelles la Cour s’est déjà prononcée et qui résultent de problèmes systémiques ou structurels de l’ordre juridique interne ou d’une mauvaise interprétation de la Convention. En clarifiant par avance dans ses avis sa position sur des questions liées à l’interprétation et l’application de la Convention, la Cour anticipera l’introduction devant elle d’un nombre de requêtes individuelles qui auraient été générées par le même problème systémique ou par la même question d’interprétation ou d’application de la Convention[24]. Mieux, la solution préconisée par la Cour permettra aux juridictions nationales non seulement de résoudre le litige pendant devant elles mais aussi de régler toutes les requêtes qui portent sur le même objet dès lors que l’avis identifie clairement l’existence d’un problème structurel ou systémique ou précise des questions de principe concernant l’interprétation ou l‘application de la convention. L’avis de la Courpermettra ainsi de résoudre les affaires répétitives au niveau national et contribuera à responsabiliser les juridictions nationales dans la résorption de ce contentieux et sérieusement amenuiser le contentieux des affaires répétitives portées devant la Cour.
Les détracteurs du protocole soutenaient que la Cour était déjà trop encombrée et que l‘élargissement de sa compétence consultative allait inutilement augmenter le nombre d’affaire en souffrance devant elle. Certes le nouveau Protocole engendrera une nouvelle catégorie de demandes dont la Cour n’aurait pas eu à connaître si cette réforme n’avait pas vu le jour[25]. Mais c’est oublier le gain de temps que la Cour réalisera à moyen terme en étant déchargée des affaires répétitives, temps qu’elle pourra mettre à profit pour rendre des arrêts sur les requêtes individuelles dans des délais plus raisonnables. Pour éviter tout risque d’un retard excessif dans les procédures internes, la Cour devra statuer dans un délai raisonnable compte tenu qu’il pourra s’agir d’affaires ayant déjà suivi un parcours complet dans la hiérarchie judiciaire interne.
3. Le Protocole 16 confirmera de plus le rôle crucial des juridictions nationales dans l’application de la Convention et renforce ainsi le principe de subsidiarité. Il s’inscrit dans la continuité du protocole 15 de la Convention qui entend réaffirmer l’importance de ce principe. De ce point de vue, la procédure d’avis consultatif répond parfaitement au souci exprimé de mieux prendre en compte les particularités nationaleset d’instaurer un partage des responsabilités entre les Etats parties et la Cour dans la garantie des droits énoncés dans la Convention[26]. En effet, le partage de tâches réalisé maintient au juge national la responsabilité à titre principal de l'application de la Convention et de la garantie des droits et libertés qu'elle consacre. Le principe de subsidiarité a également pour effet que la demande d’avis est facultative pour les juridictions nationales, et que cet avis n’a pas de caractère obligatoire[27].
C. Un dialogue qui respecte la liberté du juge national
Même si les Etats dont elles relèvent ont choisi de ratifier le protocole, les juridictions suprêmes ne sont pas tenues de saisir la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande d’avis consultatif. Les parties au litige ont la possibilité de demander au juge de saisir la Cour, mais la décision appartient au seul juge national[28]. Comme dans le renvoi préjudiciel dans le cadre de l’Union, il s’agit d’une procédure de juge à juge et la décision de saisir appartient au seul juge qui est le seul à même d’apprécier si une réponse de la Cour peut être utile à la solution du litige qui lui est soumis. .
- Comme on l’a écrit plus haut, elles auront néanmoins tout intérêt à le faire lorsqu’elles seront face à une difficulté sérieuse d’interprétation de la Convention et de ses protocoles, car l’avis rendu par la Cour viendra renforcer l’autorité de leurs jugements. De plus, ceux-ci étant fondés grâce à l’avis de la Cour sur une interprétation autorisée de la Convention, la probabilité que les parties acceptent leur décision sera accrue et le risque d’un recours individuel devant la Cour disparaîtra. Quelles seraient les chances de succès pour un requérant de contester devant la Cour de Strasbourg un jugement fondé sur un avis que celle-ci a rendu?
De plus, si le juge national refuse de saisir la Cour pour avis, le requérant mécontent pourra toujours saisir cette dernière à condition que les conditions de recevabilité de sa requête soient remplies. La procédure consultative ne fait pas disparaître le recours individuel qui reste toujours dans un tel système la “pierre angulaire” du mécanisme de protection européen des droits de l’homme et le recours ultime du requérant qui n’aurait pas obtenu satisfaction devant les juridictions nationales.
Un autre aspect de la liberté laissée au juge réside dans le fait, qu’à l’opposé du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union, les avis rendus par la grande Chambre ne sont pas contraignants et qu’il revient à la juridiction nationale qui a sollicité l’avis de donner effet ou non à celui-ci. Il est de la nature même d’un dialogue que ce soit la juridiction ayant sollicité l’avis qui décide de ses conséquences sur l’affaire pendante devant elle. Même dans le cadre de l‘Union, la Cour de justice s’attache soigneusement à respecter la liberté du juge national et se limite à interpréter le droit de l’Union à son attention. Le juge national est seul à même de confronter les faits de l’espèce à l’interprétation du droit de l’Union donnée par la Cour.
- Dans ces conditions, Il y a peu de chance que la juridiction qui a sollicité l’avis de la Cour ne le prenne pas par la suite en considération[29]. En toute occurrence, le requérant mécontent qui estimerait que la juridiction n’a pas suivi l‘avis de la Cour ou a mal applique les principes formulés par la Cour disposera toujours de la possibilité de saisir cette dernière par la voie du recours individuel. Dès lors que la procédure consultative ne fait pas disparaître le recours individuel, le juge national qui sait que la possibilité d’une condamnation subsiste devra vite s’adapter à la nouvelle situation et préférer solliciter un avis de la Cour plutôt que d’être démenti et de faire courir à l’Etat membre le risque d’une condamnation. Quant au particulier, si le tribunal national applique la solution dégagée par la Cour, il est raisonnable de penser qu’il ne se lancera pas dans un contentieux qu’il saura d’avance inutile. Ce n’est que dans le cas où il estimera par exemple que les faits n’ont pas été correctement établis par les juridictions nationales ou que la solution donnée par la Cour a mal été appliquée qu’il devrait envisager de saisir celle-ci[30]. D’une manière générale, l’avis devrait jouir de l’autorité de la chose interprétée. Comme l’indique le rapport explicatif, l’avis s’insérera dans la jurisprudence de la Cour. Ceci signifie que les Etats parties sauront que, compte tenu des éléments propres à chaque espèce, il est fort probable que les principes exposés dans l’avis leur seront appliqués. Ceci n’implique pas que la Cour soit liée par la règle du précédent. Comme elle le rappelait dans l’affaire Goodwin[31] : « Sans que la Cour soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l'intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l'égalité devant la loi qu'elle ne s'écarte pas sans motif valable de ses propres précédents … Cependant, la Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l'homme, la Cour doit tenir compte de l'évolution de la situation dans l'Etat défendeur et dans les Etats contractants en général et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre” . Nul doute que les mêmes principes seront appliqués aux avis de la Cour.
II . Un dialogue strictement encadré
Si le protocole 16 est destiné à institutionnaliser le dialogue entre les juridictions nationales et la Cour, ses auteurs ont toutefois craint qu’il puisse donner lieu à des débordements. Pour éviter que la Cour soit submergée de recours et pour garantir la qualité du dialogue<, le Protocole a strictement organisé les conditions d’accès à la Cour et encadrer la demande d’avis. Malgré ces précautions, la Cour de justice dans son avis 2/13 a insisté sur le risque que le protocole 16 puisse être utilisée par des juridictions nationales pour saisir la CourEDH de questions présentant un lien avec le droit de l’Union contournant ainsi l’obligation de renvoi préjudiciel.
A. Les conditions relatives aux acteurs du dialogue
L’une des idées clé du protocole est que le dialogue entre les juridictions nationales et la Cour soit réservé aux plus « hautes juridictions nationales ». Il s’agit des juridictions situées au sommet du système judiciaire national, mais l’expression « plus haute juridictions nationales peut également viser des juridictions qui, bien qu’ « étant inférieures à la Cour constitutionnelle ou suprême, sont néanmoins d’une importance particulière car elles sont «les plus hautes » juridictions pour une certaine catégorie d’affaires ». La désignation de ces juridictions est laissée à l’appréciation des Etats parties au protocole pour qu’elles puissent tenir compte de la spécificité de leur système judiciaire. Certaines juridictions nationales sont très réticentes.
En France, il a été décidé que le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel[32]vont pouvoir, dès le 1er août 2018, adresser à la CEDH des demandes d’avis consultatifs. Le Tribunal des conflits n’a pas été inscrit dans cette liste, mais cette dernière peut être modifiée par une simple déclaration auprès du secrétaire général du Conseil de l’Europe.
- La limitation du nombre de juridictions habilitées à saisir la Cour tient, d’une part, au souhait de ne pas encombrer davantage le prétoire de la Cour. D’autre part, le fait que ce soit les juridictions suprêmes qui puissent seulement saisir la Cour, permettra, grâce à la règle de l‘épuisement des voies de recours interne, à la question posée à la Cour d’être débattue et précisée au niveau national. Le débat interne est essentiel en cas de divergence de points de vue entre les juridictions nationales et offrira l’occasion de définir l’enjeu de la question posée à la Cour.
Par similitude avec la procédure de renvoi de l’article 43 de la Convention, il revient à la Grande chambre de rendre les avis consultatifs comme le précise le paragraphe 2 de l’article 2 du Protocole. Les demandes doivent d’abord être filtrées par un collège de cinq juges qui peuvent rejeter la demande en raison de la nature des questions posées ou de la qualité de la juridiction qui a posé la question, à condition toutefois de motiver la décision de rejet[33]. La Cour aurait préféré, comme elle l’indique dans son document de réflexion, que des lignes directrices sur la portée et le fonctionnement de sa compétence consultative soient adoptées, plutôt que d’être obligée de motiver chaque refus. Les auteurs du Protocole ont néanmoins jugé utile que le collège indique les motifs du refus de manière à renforcer le dialogue entre la Cour et les juridictions supérieures et à mieux faire accepter sa décision[34]. La motivation doit de plus permettre de plus à la Cour de préciser au fil de sa jurisprudence le sens de l’expression « questions de principe relatives à l’interprétation et à l’application des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme », ce qui permettra de guider les juridictions nationales supérieures qui envisagent de demander un avis à la cour et de dissuader les demandes inadéquates. Lors des discussions préparatoires, il avait été suggéré de réserver la procédure aux questions systémiques ou aux questions qui soulèvent un problème essentiel qui n’aurait pas été auparavant tranché par la Cour. Il a été finalement décidé de faire référence aux problèmes « importants » de telle sorte qu’il appartiendra à la Cour de définir ce que recouvre cette notion.
Quant à l’avis qui, on l’a vu, doit être motivé, il doit être communiqué à la juridiction qui a demandé l’avis ainsi qu’à la Haute Partie contractante dont cette juridiction relève[35]. Nul doute que par souci d’égalité, la Cour transmettra également l’avis aux autres parties ayant pris part à la procédure. Ils seront également publiés.
- La Cour a insisté dans son rapport sur deux modalités pratiques qui lui semblent essentielles. La première concerne le délai dans lequel l’avis de la Cour doit être rendu. Le rapport explicatif explique dans son §1 qu’il appartiendra à la Cour de décider de la priorité à accorder à la procédure prévue par le Protocole, tout en suggérant qu’une telle procédure ait une « priorité haute ». Comme la procédure interne est suspendue tant que l’avis n’est pas rendu, la Cour confirme dans son avis sur le Protocole 16 que la procédure d’avis consultatif doit se voir réserver un traitement prioritaire[36]. Le rapport explicatif dans son article §17 souligne que la contrepartie pour la juridiction qui saisit la Cour sera de formuler sa demande de manière précise et complète, et pour toutes les parties prenantes de coopérer avec la Cour. La seconde est d’ordre linguistique et concerne la question de la langue dans laquelle les avis consultatifs doivent être rendus et de leur traduction éventuelle dans la langue de la juridiction qui a procédé à la demande d’avis. Alors que le rapport explicatif suggère que la Cour pourrait coopérer avec les autorités nationales à cette traduction[37], celle-ci a indiqué qu’elle n’a pas les moyens de fournir les traduction des demandes et documents y afférents car cela aurait pour effet de lui imposer une charge couteuse de traduction et une augmentation considérable de sa charge de travail.
B. L’encadrement du litige
Le Protocole exige que l’avis demandé porte sur une affaire pendante devant la juridiction suprême. Comme le note le rapport explicatif, « La procédure n’est pas destinée, par exemple, à permettre un examen théorique de la législation qui n’a pas à être appliquée dans l’affaire pendante ». La crainte était que la Cour se prononce sur une législation nationale par un avis in abstracto qui l’aurait lié au cas où elle aurait eu à connaitre des mesures de mise en œuvre d’une telle législation. Les auteurs du Protocole ont exigé que l’avis ait simplement pour objet de donner les moyens juridiques nécessaires pour garantir le respect de la Convention lorsque la juridiction supérieure tranchera le litige en instance.
- L’objet de la procédure n’étant pas de transférer le litige à la Cour, celle-ci ne doit contrôler ni les faits, ni la législation nationale dans le cadre de la procédure en cause. La Cour doit se concentrer sur les « questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles »[38]telles que formulées dans la demande d’avis. En conséquence, il est exigé des juridictions qu’elles définissent le contexte juridique et factuel de l’affaire (article 1 .3 du Protocole 16). Elles doivent de plus motiver leur demande d’avis de manière suffisamment convaincante pour démontrer que l’affaire soulève une question de principe ou d’intérêt général relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention, dont la résolution est indispensable à la solution du litige pendant[39]. Comme le note le juge Sicilianos, « la motivation est importante pour faire clairement comprendre le point sur lequel la juridiction nationale a besoin de l’avis de la Cour, voire pour identifier la question de manière adéquate… Ces exigences visent à mieux circonscrire l’objet du dialogue, tout en facilitant l’exercice par la Cour de sa compétence consultative »[40].
Dans son règlement intérieur, la Cour, s’inspirant du rapport explicatif, prévoit que la demande dot exposer a) L’objet de l’affaire interne et le contexte juridique et factuel pertinent; b) Les dispositions juridiques internes pertinentes ; c) Les questions pertinentes relatives à la Convention, en particulier les droits ou libertés en jeu ; d) Si cela est pertinent, un résumé des arguments des parties à la procédure interne sur la question ; e) Si cela est possible et opportun, un exposé par la juridiction dont émane la demande d’avis consultatif de son propre avis sur la question, y compris toute analyse qu’elle a pu faire de la question »[41].
Ces informations doivent permettre de vérifier s’il s’agit bien d’un litige réel et non d’une affaire fabriquée exclusivement pour obtenir une réponse à une question théorique[42]et s’il existe un lien entre la Convention et le droit national dans le cas qui fait l’objet de la demande. Dans cette dernière hypothèse, la Cour, ou plus exactement le collège chargé de la recevabilité, sera sans aucun doute amené à s’interroger sur la pertinence de la question posée pour résoudre le litige. Il devra se souvenir qu’il s’agit d’un dialogue avec le juge national et que ce dernier est, en tout cas, le mieux placé pour déterminer si une interprétation est nécessaire ou non.
Comme le déclarait la Cour de justice de l’Union, “Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer … Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées »[43]. Ces principes s’imposent d’autant plus ici qu’il s’agit de juridictions suprêmes et que la volonté de dialogue impose une ouverture réciproque. La pertinence de la question devrait donc être présumée et l’irrecevabilité prononcée seulement lorsqu’elle apparaît manifestement qu’il s’agit d’un recours fictif ou que la demande n’est pas pertinente.
- La question de l’encadrement de l’emploi du protocole 16 par le droit de l’Union européenne n’a pas été abordée lors des négociations relatives à l’adhésion de l’Union à la CEDH puisqu’à l’époque, le protocole n’était pas encore adopté. Elle a été soulevée par l’avocat général dans sa prise de position lors de la procédure menant à l’avis 2/13 de la Cour de justice sur l’adhésion sans que celui-ci y voie pour autant un risque d’incompatibilité avec les traités. Cela n’a pas été l’opinion de la Cour de justice. Bien que l’Union n’envisage pas d’adhérer au protocole 16 et que la question de l’adhésion de l’Union à la CEDH reste pour le moment encore à l’état de projet, les éléments contenus dans l’avis viennent-ils limiter l’emploi de la faculté offerte par le protocole par les Etats parties membre de l’Union?
La Cour de justice craint que cette voie puisse être utilisée par des juridictions nationales pour saisir la CourEDH de questions présentant un lien avec le droit de l’Union contournant ainsi l’obligation de renvoi préjudiciel[44]. Elles pourraient solliciter une interprétation de la Convention au lieu de se tourner vers Luxembourg afin d’obtenir une interprétation de la Charte alors que les droits en cause sont identiques dans les deux instruments. Par exemple, elles pourraient demander à la CourEDH d’apprécier la conformité à la Convention d’une loi nationale sur les traitements des données au regard de la vie privée alors que la matière entre dans le champ d’application du droit de l’Union. Cette considération est toujours d’actualité en l’absence d’adhésion. Une juridiction nationale statuant en dernier ressort pourrait saisir la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande d’avis portant sur une question liée à l’application du droit de l’Union. Rien n’interdirait en principe à la Cour de Strasbourg de répondre à cette sollicitation. Mais il est certain que, dans ce cas, l’auteur de la demande violerait le droit de l’Union qui lui impose de saisir la Cour de justice et s’exposerait à une procédure d’infraction ouverte à l’initiative de la Commission. Tout repose sur l’attitude des juridictions nationales et sur une éventuelle propension de celles-ci à violer les obligations du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il postule aussi que la CourEDH qui est juge de la recevabilité des demandes d’avis se montrerait disposée à interpréter le droit de l’Union en ignorant les obligations spécifiques des Etats membres alors que sa jurisprudence montre l’importance qu’elle attache au respect de l’obligation de renvoi préjudiciel au regard de l’article 6, paragraphe 3, de la Convention[45]. Enfin, l’avis n’est pas contraignant et il n’est en aucun cas opposable à l’Union qui n’est partie à la procédure. En fait, tout reposera sur l’attitude coopérative des juridictions nationales et de la CourEDH, mais il est certain que le droit de l’Union et la procédure de renvoi préjudiciel qu’il comporte constituent une limitation à l’application du protocole et participe de l’encadrement de celui-ci.
Conclusion
La protocole 16 ouvre une voie nouvelle et constitue un défi tant pour la Cour que pour le juge national. Tout d’abord, il appartiendra aux juges nationaux de se saisir de ce nouvel instrument. Ceci exigera qu’ils soient dûment informés de la faculté qui leur est désormais offerte et que les règles soient clairement expliquées. Ceci ne devrait guère poser de problèmes pour les juridictions des Etats membres de l’Union en raison de leur familiarité avec le renvoi préjudiciel. La prédisposition des juridictions nationales à se saisir de cette nouvelle voie sera étroitement liée au soin qu’apportera la Cour à traiter les nouvelles demandes. Dans cette pièce de piano à quatre mains, la responsabilité du succès de la partition dépend des deux interprètes.
[1]En visite officielle à la Cour européenne des droits de l’homme le 31 octobre 2017, Emmanuel Macron confiait que «la France a engagé résolument le processus de ratification de ce protocole [n° 16], avec le secret espoir d’être le dixième État à ratifier, celui donc qui permettra à ce protocole d’entrer en vigueur ». La France a effectivement ratifié le Protocole 16 le 12 avril 2018. Le protocole entre en vigueur le 1eraout 2018.
[2]L-A. Sicilianos, L’élargissement de la compétence consultative de la cour européenne des droits de l’homme- A propos du Protocole n°16 à la Convention européenne des droits de l’homme, RTDH 2014, p.28.
[3]Cf. A. Drzemczewski, Advisory Jurisdiction of the European Human Rights Court: A Procedure Worth Retaining?, dans : The Modern World of Human Rights, Essays in honour of T. Buergenthal 1996, pp. 493-499 ; J.-P. Costa / P. Titiun, Les avis consultatifs devant la CEDH, Mélanges P. Tavernier, p. 605-614 .
[3]Voir Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif [GC], §§ 26, 28, 33, CEDH 2004‑VI.
et J.-P. Costa / P. Titiun, Les avis consultatifs devant la CEDH, Mélanges P. Tavernier préc..
[4]Voir Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif [GC], §§ 26, 28, 33, CEDH 2004‑VI.
[5]Avis consultatif sur certaines questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées en vue de l'élection des juges de la Cour européenne des droits de l'homme [GC], 12 février 2008 (concernant la liste des candidats pour Malte) ; Avis consultatif sur certaines questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées en vue de l'élection des juges de la Cour européenne des droits de l'homme (no2) [GC], 22 janvier 2010 (concernant la liste des candidats pour l’Ukraine) .
[6]Procès-verbal de la septième session plénière de la Cour tenue les 15 et 16 février 1962, doc. CDH (62) PV 1 déf., pp. 5-6.
[7]Ibidem.
[8]Cf. DH-GDR(2011)R8 Annexe VII Ses arguments sont similaires à ceux aujourd’hui invoqués par les opposants au Protocole. Le principal tient au fait que ce mécanisme engendrerait une confusion des genres, entre une procédure contentieuse contraignante et une procédure consultative facultative. Il lui apparaissait de plus délicat d’autoriser la Cour à se livrer à une appréciation abstraite et générale de la compatibilité d’un projet de loi avec la Convention. Il serait délicat, pensait-il, pour la Cour de constater par la suite au contentieux qu’une mesure prise en application de cette loi viole la convention alors qu’elle avait rendu un avis conférant un label de conformité à la convention à la loi concernée. D’autres raisons étaient également invoqués qui tenaient à la surcharge de travail qu’entrainerait ce nouveau chef de compétence pour la Cour mais aussi pour les juridictions nationales, ainsi qu’au retard que pendraient les procédures nationales dans la mesure où l’affaire devrait être suspendue devant la juridiction nationale dans l’attente de l’avis de la Cour Voir, pour plus de précisions, A. Drzemczewski, Advisory Jurisdiction of the European Human Rights Court, préc., pp. 500-511.
[9]Rapport du Groupe des Sages au Comité des Ministres du 15 novembre 2006, doc. CM(2006)203, §§ 76-86) ; voir également J.-P. Costa , P. Titiun, Les avis consultatifs devant la CEDH, ibidem. En revanche, il s’opposait catégoriquement à un mécanisme de renvoi préjudiciel sur le modèle de celui existant au sein de l‘Union européenne. Pour lui « le mécanisme préjudiciel constitue un modèle alternatif à celui du contrôle judiciaire établi par la Convention et poserait des problèmes juridiques et pratiques non négligeables et aurait pour conséquence une surcharge considérable de la Cour.
[10] La Cour avait entre temps repris sa réflexion sur la question de l‘élargissement des sa compétence consultative et avait produit un document dans lequel elle se montrait favorable à cette idée, même si les points de vue des juges étaient divergents sur les modalités.
[11]Cf. Document de réflexion sur la proposition d’élargissement de la compétence consultative de la Cour, doc#3853040(20 février 2012).
[12]Ce qui permettra aux Etats qui, à la lumière de l’expérience, ne seraient pas satisfaits de la procédure instituée de se retirer du protocole tout en demeurant parties à la Convention.
[13] Discours du Président de la Cour lors de la rentrée solennelle de 2014
[14]Dans le cadre du mécanisme SCN (Superior Courts Network), la Cour fournit des informations concernant sa jurisprudence ainsi que des information de droit comparé et de droit international. Les juridictions nationales échangeront des informations sur les jurisprudences et les pratiques Le réseau a été lancé officiellement en octobre 2015 et le premier Forum des personnes de contact du SCN s’est tenue en juin 2017.
[15]Dans l’arrêt Al-Khawaja c/ Royaume-Uni devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme du 15 décembre 2011, la Grande Chambre a été obligée de répondre aux critiques britanniques et a dû faire évoluer sa jurisprudence en précisant que « l’admission à titre de preuve d’un témoignage par ouï-dire constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1, lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents ». Toutefois, « étant donné les risques inhérents aux témoignages par ouï-dire, le caractère unique ou déterminant d’une preuve de ce type admise dans une affaire est (...) un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure et il doit être contrebalancé par des éléments suffisants, notamment par des garanties procédurales solides ». La Grande chambre a donc pris en considération les critiques du Royaume Uni et a considéré que les garanties procédurales contenues dans les lois de 1988 et 2003 sont, en principe, « des garde- fous solides » et qu’en l’espèce, les droits de M. Al-Khawaja n’ont pas été violés.
[17]L’expression est du vice président du Conseil d’Etat à l’occasion d’une conférence prononcée le 30 janvier 2015 intitulée « La subsidiarité́ : une médaille à deux faces ? »à l’occasion d’un séminaire organisé par la Cour européenne des droits de l’Homme le 30 janvier 2015.
[18]Par similitude avec l’article 36 §1 et 2 de la Convention sur la tierce intervention
[19]Chapitre X, article 4 §3 du règlement de la Cour
[20]Cf. B. M. Oomen, A serious case of Strasbourg-bashing? An evaluation of the debates on the legitimacy of the European Court of Human Rights in the Netherlands, The International Journal of Human Rights , Volume 20 2016 - Issue 3 ; cf. également Nicolas Hervieu, « Cour européenne des droits de l’homme : De l’art de la résilience juridictionnelle », in Revue des droits de l’homme/ ADL, 16 février 2015 (Lien : http://revdh.revues.org/1062)
[21]Voir par exemple, L. Loucaides Reflections of a Former European Court of Human Rights Judge on his Experiences as a Judge.Roma Rights 1, 2010
[22]Voir par exemple, Lord Hoffmann, The Universality of Human RightsJudicial Studies Boardannual lecture, 2009ou M. Bossuyt, Rechterlijk activisme in Straatsburg, Rechtskundig Weekblad, 2013-2014, nr. 19, 723-733.
[23]§27
[24]Voir aussi sur ce point le rapport présenté par les experts norvégien et néerlandais au DH-S-GDR, cité dans le document DH-GDR(2010)019, p. 11.
[25]Bien que l’on puisse supposer qu’une affaire soumise à une demande d’ avis consultatif aurait fort bien pu, si la procédure consultative n’avait pas été pas enclenchée, aboutir à l’introduction d’une requête individuelle devant la Cour.
[26]Voir PP 6 et partie B., §§ 4 et 9 du Plan d’Action adopté dans la Déclaration d’Interlaken du 19 février 2010.
[27]Voir à la fois le Rapport du Groupe des Sages au Comité des Ministres du 15 novembre 2006, doc. CM(2006)203, § 82, et le rapport présenté par les experts norvégien et néerlandais au DH-S-GDR, cité dans le document DH-GDR(2010)019,p.8 ; pour les différents options voir le doc. DH‑GDR(2011)015 FINAL, p. 6, point 10.
[28]Voir le Rapport du Groupe des Sages au Comité des Ministres du 15 novembre 2006, doc. CM(2006)203, § 82, le rapport présenté par les experts norvégien et néerlandais au DH-S-GDR, cité dans le document DH‑GDR(2010)019, p. 9, et, pour les options sur ce point, le doc. DH-GDR(2011)015 FINAL, pp. 8-9, point 16.
[29]Voir également le point de vue présenté par les experts norvégien et néerlandais au DH-S-GDR, cité dans le document DH-GDR(2010)019, p. 11.
[30]Cf. F. Benoit-Rohmer, Il faut sauver le recours individuel, D.2003.I.58.
[31]Goodwin c. UK, arrêt du 11 juillet 2002, req.n°28957/95
[32]Le Conseil constitutionnel ne pourra utiliser cette possibilité que dans le cadre du contentieux électoral, contentieux dans lequel il est juge de la conventionnalité des lois. Dans le contrôle de la constitutionnalité des lois qu'il effectue sur le fondement des articles 61 et 61-1 de la Constitution, il ne procède pas au contrôle de la « conventionnalité » de la loi. Mais, le contrôle de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel a la charge peut soulever des questions parfois proches de celles du contrôle de conventionnalité. Le Conseil constitutionnel se réserve la possibilité de demander à la Cour un avis consultatif qui pourra ainsi constituer un élément de contexte utile au jugement de certaines de ces questions.
[33]Cf. Chapitre X, article 3 du règlement de la Cour
[34]Cf. Chapitre X, article 3, § 4 du règlement de la Cour
[35]Cf. Chapitre X, article 3, § 5 du règlement de la Cour
[36]Cf. Chapitre X, article 4, §2 du règlement de la Cour
[37]§23 du rapport explicatif.
[38]L’expression est utilisée par le Groupe des Sages puis par la Cour dans son document de réflexion. L’expression rappelle celle de l’article 43, paragraphe 2, de la Convention sur le renvoi devant la Grande Chambre en raison d’un certain parallélisme entre les deux procédures. L’interprétation de cette expression appartiendra à la Cour lorsqu’elle décidera d’accepter ou non une demande d’avis consultatif.
[39]Cf. § 12 du rapport explicatif
[40]Cf. L.A. Sicilianos, préc. p.19
[41]Chapitre X, article 2 §2 règlement de la Cour
[42]Il convient de rappeler ici l’arrêt Foglia Novellode la Cour de Justice, 12 mars 1980, 104/79, ECLI:EU:C:1980:73« La fonction confiée à la Cour de justice … consiste à fournir à toute juridiction de la Communauté les éléments d’interprétation du droit communautaire qui lui sont nécessaires pour la solution des litiges réels qui lui sont soumis. Si, par le biais d’arrangements du genre de ceux ci-dessus décrits, la Cour était obligée à statuer, il serait porté atteinte au système de l’ensemble des voies de recours juridictionnels dont disposent les particuliers pour se protéger contre l’application de lois fiscales qui seraient contraires aux dispositions du traité … il en résulte que les questions posées … ne se situent pas dans le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à la Cour … »
[43]Arrêt du 18 février 2016, C-49/14, Finanmadrid, ECLI:EU:C:2016:98
[44]« En particulier, il n’est pas exclu qu’une demande d’avis consultatif introduite au titre du protocole n° 16 par une juridiction d’un État membre ayant adhéré à ce protocole puisse déclencher la procédure de l’implication préalable de la Cour, créant ainsi un risque de contournement de la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 176 du présent avis, constitue la clef de voute du système juridictionnel institué par les traités» (avis 2 /13, point 198).
[45]Voir Dhahbi contre Italie, Arrêt du 8 avril 2014, req. n° 17120/09 : «les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont tenues, lorsqu’elles refusent de saisir la CJUE à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation du droit de l’UE soulevée devant elles, de motiver leur refus au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la Cour de justice. Il leur faut donc indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n’est pas pertinente, ou que la disposition de droit de l’UE en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la CJUE, ou encore que l’application correcte du droit de l’UE s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable »
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Jean Paul Jacqué est un excellent praticien. A suivre
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Un grand merci, Monsieur le Professeur, pour les deux analyses lucides et stimulantes, et en pleine connaissance de cause, de l'avis 2/13.
Excellent commentaire. Invite à une réflexion approfondie de la place et de l'impact d'une telle position de la CJUE sur la société européenne et sur l’État de droit lui-même.