Brexit
On passe enfin aux choses sérieuses ?
Jean Paul Jacqué
Professeur émérite à l’Université de Strasbourg
Directeur général honoraire au Conseil de l’Union européenne
Pendant les deux dernières années, les incertitudes quant aux demandes britanniques quant au maintien de sa participation à l’Union européennes étaient grandes. Les exigences de rapatriement de certaines compétences avaient été oubliées après qu’une large enquête conduite sous la responsabilité du gouvernement eut montré que le Royaume-Uni s’accommodait fort bien de la situation actuelle et que les reproches portaient davantage sur le respect de la subsidiarité et sur le contenu jugé trop bureaucratique des règles communautaires que sur la répartition des compétences. Avant les élections, le premier ministre Cameron exposait ses vues sur la réforme dans un discours à Bloomberg qui reprenait certaines idées déjà exposées auparavant. Les élections passées et les débats sur la loi relative au referendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union largement entamés, l’attention se portait sur les changements que le premier ministre souhaitait apporter au fonctionnement de l’Union européenne. Or, sur ce point l’attente devait durer.
L’enjeu de la formulation des demandes
En effet, M. Cameron s’était placé tout seul, mais non sans raison, dans une situation difficile. Il s’est agi pour lui de maintenir l’unité du parti conservateur en donnant des gages aux eurosceptiques et de contenir l’avance du parti eurosceptique UKIP. Sur le plan électoral, le pari a été réussi, mais la suite était plus délicate à gérer. Il devenait nécessaire de formuler de manière plus précise les demandes à adresser à l’Union. Mais, si trop était exigé de l’Union, les risques de succès étaient faibles et l’issue négative du referendum probable parce que M. Cameron auraient obtenu moins que ce qu’il demandait. Si les demandes étaient trop limitées, la crédibilité du premier ministre serait entamée et le résultat pouvait également être négative. De plus, quel que soit le résultat, le vote des partisans de l’UKIP et des supporters de la frange eurosceptique des conservateurs serait de toute façon négatif. Dans ces conditions, la cible de M. Cameron se situe au centre qu’il doit convaincre indépendamment des opinions partisanes. Il lui faut une victoire face à Bruxelles, mais pour l’obtenir, il ne peut que présenter des demandes dont il sait qu’elles seront acceptées sur des thèmes mobilisateurs pour l’opinion. Ceci explique qu’il a été indispensable de tester informellement auprès des institutions et des Chefs d’Etat ou de gouvernement la liste qui serait présentée officiellement avant d’accéder à la demande du Conseil européen et d’adresser le 10 novembre une lettre au président du Conseil européen indiquant « the areas where I an seeking reforms to adress the concerns of the British people over our membership of the European Union ». Le contenu de la lettre doit être lu en rapport avec le discours délivré par M. Cameron le même jour à Chatham House.
En elles-mêmes, les demandes britanniques peuvent être satisfaites même si certaines d’entre elles donneront lieu à des négociations délicates, mais la formulation est suffisamment ouverte pour laisser une certaine marge de discussion. La difficulté est de savoir dans quelle mesure leur satisfaction peut constituer un moteur suffisant pour convaincre l’opinion britannique de voter en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Un récent article de l’Economist l’alerte sur les risques à cet égard notamment en raison du soutien financier de puissants lobbies d’affaires et de l’importance des groupes de médias favorables au Brexit. Dans ces conditions, les autres Etats membres seront d’autant plus disposés à faire des concessions que les chances de succès seront fortes. M. Cameron doit non seulement négocier avec ses homologues, mais aussi simultanément convaincre son opinion de l’importance du maintien ce qu’il a commencé à faire dans son discours à Chatham House.
Des demandes sans surprises
La shopping list de M. Cameron n’apporte guère de surprises si ce n’est peut être par le caractère détaillé de ses demandes en ce qui concerne ce qu’il qualifie de gouvernance économique, mais qui concerne davantage les relations entre la zone euro et le Royaume-Uni. SI, sous cette rubrique, certaines demandes vont de soi quant elles concernent le fait que le Royaume-Uni ne soit pas affecté par les décisions prises dans le cadre de l’Eurozone et l’absence de discrimination sur la base de la monnaie, il serait sans doute plus difficile de reconnaître que « The EU has more than one currency ». La livre n’est pas une monnaie de l’Union, elle est l’une des monnaies utilisées dans l’Union. Mais, dans l’ensemble, un accord devrait être trouvé sur le fait que l’application de mécanismes de stabilité financière et de supervision spécifiques à l’Eurozone ne vienne pas perturber la compétence, qui reste nationale, du Royaume-Uni en ces matières. L’accord devrait apporter des réponses aux questions qui se posent au Royaume-Uni à propos de la coopération renforcée pour la mise en place de la taxe sur les transactions financière, mais le souci principal est de préserver le rôle privilégié de la place financière de Londres. Tout dépend cependant de ce que La lettre appelle « a safeguard mechanism to insure that these principles are respected ». S’il s’agit d’accorder au Royaume-Uni la possibilité d’entraver les avancées de la zone euro, la demande pourra difficilement être satisfaite.
De la même manière, les demandes relatives à la compétitivité ne soulèvent guère de difficultés. Réduire le caractère trop bureaucratique de la législation est depuis longtemps un objectif supporté par tous et qui s’est récemment manifesté dans la communication de la Commission « mieux légiférer » et dans l’accord institutionnel qu’elle propose de conclure dans ce domaine. Encore faut-il qu’il soit admis que la suppression des contraintes bureaucratique doive se marier avec le maintien des mesures nécessaires pour assurer la protection des particuliers. M. Cameron réclame que des avancées soit faites dans le domaine de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services ce qui n’est pas une exigence qui puisse susciter des résistances.
La troisième demande est plus symbolique, mais politiquement importante pour le Royaume-Uni. Elle vise la « sovereignty » et couvre trois domaines différents. Le premier est le plus connu et vise la mention d’une « Union sans cesse plus étroite » dans le préambule du traité sur l’Union européenne. Le Royaume-Uni désire être exempté de cette clause bien qu’il semble y avoir un malentendu sur le sens de cette formule dans le mesure où M. Cameron semble penser qu’il s’agit d’une Union entre les Etats alors que le traité fait référence à une union entre les peuples ce qui n’a pas la signification « intégrationniste » qu’on lui attribue. Cependant la solution devrait être aisée dans la mesure où, même si cette disposition peut, selon le Royaume-Uni, jouer un rôle dans l’interprétation du traité, elle ne constitue pas une obligation juridique. Le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 a déjà apporté une réponse en indiquant que « que la notion d'Union sans cesse plus étroite permet aux différents pays d'emprunter différentes voies d'intégration, en laissant aller de l'avant ceux qui souhaitent approfondir l'intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l'approfondissement ». La difficulté réside dans le fait que donner satisfaction à cette revendication devrait en fait impliquer une révision des traités. Il en va de même de la volonté de réviser les règles relatives à la participation des Parlements nationaux en étendant et renforçant les règles relatives à la participation des parlements nationaux pour leur permettre de s’opposer à des propositions législatives nationales dès lors qu’un certain nombre d’entre eux le demanderaient. Cependant, ici encore, il devrait être possible de mettre en place d’un commun accord un dispositif qui instaurerait ces mesures sans révision des traités. Après tout le compromis de Ioanina et son successeur dans le traité de Lisbonne résultent de simples décisions du Conseil européen. Dans le même ordre d’idées, la lettre insiste sur la nécessité de trouver des voies pour appliquer pleinement le principe de subsidiarité et, ici encore, après le traité de Maastricht, la mise ne œuvre du principe avait été réglée par le Conseil européen. Enfin, le Royaume-Uni souhaite que soit confirmé le respect de son protocole d’opting out dans le cadre de la justice et des affaires intérieures ce qui ne coûte rien.
La quatrième demande devrait susciter davantage de difficultés. Bien que M. Cameron confirme son attachement à la libre circulation des personnes, il souhaite limiter les mouvements de ressortissants des Etats membres de l’Union vers le Royaume-Uni. A cette fin, dans les futurs traités d’adhésion, la liberté de circulation ne pourrait s’appliquer que lorsque des économies de ces Etats convergeront suffisamment avec celles des Etats membres. Cette proposition qui n’implique pas de révision des traités pourrait être accueillie sous réserve d’approfondissement quant aux critères utilisés. Dans le passé, la mise en œuvre de la libre circulation n’a pas été immédiate pour la Bulgarie et la Roumanie. De même, l’imposition de règles plus strictes pour le séjour ou le retour de personnes condamnées pourrait être réglé par la voie législative, mais il convient de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice laquelle contrôle l’expulsion ou l’interdiction de retour sur la base de la proportionnalité et pourrait estimer que certaines dispositions d’une législation renforcée sont disproportionnées. Beaucoup plus délicate est la volonté de subordonner l’octroi de certains bénéfices sociaux à une condition de résidence de quatre ans. La situation est complexe, mais la jurisprudence de la Cour de justice dans l’arrêt Dano et plus récemment dans l’arrêt Alimanovic a limité les possibilités de « tourisme social ». Les demandes britanniques vont plus et visent notamment certains avantages sociaux directement liés à l’emploi. Dans ce cas, une réforme des traités serait vraisemblablement nécessaire et susciteraient les objections de certains nouveaux Etats membres au premier rang desquels la Pologne. La question ne peut manquer d’entraîner des débats difficiles et d’une grande technicité.
Dans le discours de Chatham House, le premier ministre évoque plusieurs questions qui ne figurent pas dans sa lettre au Conseil européen. La première concerne sa volonté d’abroger le Human Rights Act et d’adopter une nouvelle loi qui préserverait les principes de la Convention, mais couperait le lien entre les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme. Le Royaume-Uni serait toujours lié par la Convention sur le plan international, mais les tribunaux britanniques ne devraient plus appliquer celle-ci. Quant à la Charte des droits fondamentaux, il met l’accent sur le protocole britannique selon lequel la Charte ne crée pas de nouveaux droits et souhaite que les juridictions britanniques puissent refuser de s’inspirer de la Charte pour appliquer de nouveaux droits ou des droits qui iraient à l’encontre des droits garantis par le système britannique. Il désire également que les juges britanniques puissent se voir reconnaître le droit de s’opposer à l’application des législations de l’Union qui seraient adoptées hors du champ des compétences de celle-ci. Ce faisant, il se référe expressément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande. Il ne s’agit pas bien entendu d’une question qui doive être abordée dans le cadre des négociations sur la réforme de l’Union, mais de questions internes. Elle attestent néanmoins de la volonté de dresse une barrière entre les juges britanniques et la Cour de justice de l’Union. Cette dernière a en effet jugé, dans l’affaire N.S., qu’à l’exception des droits sociaux pour lesquels elle ne s’est pas prononcé, les dispositions de la Charte s’appliquaient au Royaume-Uni.
Les prochaines étapes
La lettre du premier ministre doit faire l’objet d’un examen au Conseil européen de décembre et il est exclu qu’un accord puisse être trouvé d’ici là. Le Conseil européen ne pourra sans doute pas aller plus loin que la formulation de directives générales. M. Cameron souhaite arriver à un accord « legally binding » et « where necessary have force in the treaties ». Ceci implique qu’une révision des traités n’est pas une pré-condition. D’ailleurs on voit mal les Etats membres s’engager dans une procédure de révision sans avoir de certitudes quant au résultat du referendum. Si l’on reprend les demandes, la plupart d’entre elles peuvent d’ailleurs être accommodées sans qu’il soit besoin d’une révision des traités. Les seuls points délicats concernent l’union sans cesse plus étroite et, éventuellement, la libre circulation. La meilleure solution consisterait donc à reprendre la voie suivie pour l’Irlande après l ‘échec du referendum sur le traité de Lisbonne. Les négociations aboutiraient à une décision du Conseil européen sur les questions soulevées par le Royaume-Uni et il serait agréé que les points qui exigent une révision des traités seraient inclus dans un protocole lors d’une future révision. Le referendum pourrait alors se dérouler et M. Cameron, s’il a obtenu satisfaction, ferait campagne en faveur du maintien. Dans ces conditions, la principale difficulté ne consiste pas dans les négociations, mais dans la faculté de conviction qu’aura le premier ministre de convaincre leur opinion publique.
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Jean Paul Jacqué est un excellent praticien. A suivre
http://lionelscotto.bravesites.com/blog
Un grand merci, Monsieur le Professeur, pour les deux analyses lucides et stimulantes, et en pleine connaissance de cause, de l'avis 2/13.
Excellent commentaire. Invite à une réflexion approfondie de la place et de l'impact d'une telle position de la CJUE sur la société européenne et sur l’État de droit lui-même.