Une nouvelle réforme de la Comitologie
En arrière toute
Jean Paul Jacqué
La Commission vient de présenter une nouvelle proposition de réforme de la comitologie[1]. Celle-ci avait été annoncée par le président Juncker dans son discours sur l’état de l’Union en 2016. Cette réforme répond selon la Commission à certains dysfonctionnements du système mis en place en 2011[2]. Son objectif essentiel est de remédier à la situation qui résulte de l’absence d’avis exprimé par un comité de comitologie sur un projet de mesures d’exécution proposé par la Commission. Dans ce cas, il appartient à la Commission de prendre la décision, responsabilité qu’elle refuse d’assumer aujourd’hui. Selon le président Juncker, « Ce n’est pas juste, lorsque les pays de l’UE ne peuvent se mettre d’accord sur l’interdiction ou non d’utiliser du glyphosate dans les herbicides, que le Parlement ou le Conseil force la Commission à prendre une décision. Nous allons donc changer ces règles ». La proposition de la Commission vise à faire assumer par Etats membres la responsabilité de mesures qu’il lui appartient de devrait prendre selon le règlement comitologie. Le retour à une intervention plus forte des Etats membres dans le processus témoigne d’un retour à la situation antérieure à 2011, mais ce retour ne peut être réalisé qu’aux prix de certaines circonvolutions compte tenu des contraintes imposées par l’article 290. Cette tendance au retour en arrière ne concerne pas seulement les mesures de comitologie. Il est également intervenu en ce qui concerne les actes délégués par l’introduction de comités composés de représentants d’Etats membres dans le processus d’adoption des actes délégués »[3].
- Les raisons qui justifient la proposition
Les raisons qui sont à l’origine de la proposition de la Commission se fondent sur le mécanisme mis en place par le règlement comitologie de 2011. Dans ce cadre, les projets de mesures d’exécution sont soumis à un comité d’examen composé de représentants des Etats membres sous la présidence de la Commission et qui statue à la majorité qualifiée. En cas d’avis positif du comité, la Commission adopte le projet. En cas d’avis négatif, le projet ne peut être adopté, la Commission ayant la possibilité de présenter un projet modifié. Dans le cas où il n’existe de majorité qualifiée ni en faveur du projet, ni contre celui-ci, la Commission peut adopter le projet. Cependant, dans certains cas, le dossier est renvoyé à un comité d’appel composé de représentants des Etats membres au niveau des représentants permanents qui statue également à la majorité qualifiée. Il s’agit des hypothèses où le renvoi est prévu par le texte législatif, des cas où il existait une majorité simple contre le projet et des textes intervenant dans certains domaines (fiscalité, les services financiers, la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, des animaux ou des plantes, ou des mesures de sauvegarde multilatérales définitives). Dans cette hypothèse également, la Commission peut ou non adopter l’acte en l’absence d’avis du comité. Or cette faculté de choix[4] chagrine la Commission qui estime que la responsabilité politique liée au choix effectué lui revient alors qu’elle devrait appartenir aux Etats membres. Avant le règlement de 2011, la Commission n’avait aucune latitude et devait adopter l’acte en cas d’absence d’avis. La responsabilité politique revenait alors au Conseil qui n’avait pu dégager une majorité. Or si la procédure fonctionne correctement en général, le comité d’appel semble aux yeux de la Commission inefficace puisque, de 2011 à 2015, sur 40 cas transmis au comité d’appel, celui-ci a confirmé l’absence d’avis dans 36 cas. Il s’agit de circonstances peu fréquentes compte tenu que le nombre annuel de mesures d’exécution est important (plus de 1700 en 2015). Mais elles interviennent dans domaines politiquement très sensibles comme les autorisations d’organismes génétiquement modifiés ou l’interdiction de produits chimiques. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le comité d’appel confirme les absences d’avis du comité d’examen puisque, dans les deux cas, les membres se prononcent sur la base d’instructions ministérielles et il est peu probable que ces instructions, si elles sont réfléchies, soient modifiées lors du passage au comité d’appel Dans ces hypothèses quoiqu’elle décide, la Commission est soumise à des fortes critiques des Etats, du public ou des producteurs. La proposition vise à mettre à cette situation.
- Les mesures proposées : le retour à la responsabilité des Etats membres
Pour accroître la responsabilité des Etats dans le processus, la Commission envisage deux types de mesures. Il s’agit d’une part de modifier la procédure de vote au sein du comité d’appel et, d’autre part, d’introduire des possibilités de recours au niveau ministériel.
Le mode de vote utilisé dans les comités est celui prévu pour le Conseil dans l’article 238 TFUE. Pour être adoptée une décision doit recueillir les voix de 55% des membres représentant 65% de la population, la minorité de blocage étant constituée par des Etats représentant plus de 35% de la population plus un Etat. Dans ces conditions, toute absence ou abstention équivaut à un vote négatif puisqu’il empêche d’atteindre la majorité requise. La solution proposée est simple. Emme vise à calculer la majorité sur les seuls membres prenant part au vote ; La majorité serait donc de 55% des votants ou représentés à condition qu’ils représentent 65% de la population des seuls votants ou représentés. Cette neutralisation des abstentionnistes permettrait donc plus aisément d’atteindre une majorité. De plus, pour contraindre les Etats à s’exprimer, les votes au comité d’appel seraient rendus public. Il reste à voir si cette modification recueillerait l’accord du Conseil. Certes elle peut être justifié par l’objectif d’efficacité. Il est en effet difficilement admissible que la mise en œuvre d’un acte voté par le Parlement et le Conseil soit bloquée par des abstentions. Mais cette modification pourrait constituer un précédent en ce qui concerne le vote au Conseil lui-même. Le mode de calcul de la majorité qualifiée qui a fait l’objet de négociations très difficiles entre les Etats membres, est le fruit d’équilibres politiques complexes. Il ne sera pas aisé d’y toucher ne serait-ce que pour l’adoption des mesures d’exécution.
Le second train de modifications proposées vise à permettre un arbitrage au niveau politique en impliquant les ministres eux-mêmes. Il est proposé qu’en cas d’absence d’avis, la Commission puisse convoquer une nouvelle réunion du comité d’appel qui se tiendrait au niveau ministériel sous la présidence de la Commission. En outre, la Commission aurait la possibilité de solliciter un avis du Conseil lui-même. Il était impossible d’organiser une évocation par le Conseil en tant qu’institution puisque le traité de Lisbonne a supprimé cette évocation et confie le contrôle de la comitologie aux représentants des Etats membres. Mais, en fait, la proposition revient sur Lisbonne. En effet, la réunion du comité d’appel se tiendra vraisemblablement au niveau des ministres réunis en marge du Conseil. La différence entre cette formation t le Conseil lui-même est formelle et non politique. Une telle réforme pourrait-elle être efficace ? La pratique passée montre que, lorsqu’il disposait d’un pouvoir d’évocation, le Conseil se limitait à approuver en point A sans discussion la proposition du Comité des représentants permanents qui lui-même reprenait la solution atteinte lors du comité. Il n’y a guère de raison pour qu’il en aille différemment si la réforme était adoptée. Certes la Commission pourrait s’opposer à une adoption sans discussion, mais, dans la mesure où les échelons inférieurs agissent sur instruction, la discussion risque de n’être que la reprise des positions exprimées en leur sein. Le seul avantage est de faire peser le poids politique de la décision sur les Etats et non sur la Commission. Tel est d’ailleurs l’objectif annoncé de la réforme.
Conclusion
Il peut paraître surprenant de voir la Commission qui revendique haut et fort sa qualité d’institution politique renoncer ainsi à une faculté de choix politique par peur de jugement de l’opinion. Il est aussi intéressant de constater combien en matière de comitologie, Commission et Conseil semble échapper difficilement à l’atavisme de la comitologie pré-Lisbonne. Cela étant, même si les solutions proposées peuvent intéresser quelques Etats membres sensibles à l’importance de l’environnement et de la santé, le texte doit aussi être adopté par le Parlement. Or il ne lui offre rien et d’ailleurs le Parlement s’intéresse davantage aux actes délégués qu’aux mesures d’exécution. Il ne serait donc pas surprenant qu’il impose la jonction des deux dossiers. L’accord « mieux légiférer » annonçait des discussions sur les critères de choix du recours aux actes délégués et le Parlement pourrait envisager d’aborder cette question dans le cadre de la discussion de la réforme proposée par la Commission. Une telle attitude présagerait de discussions délicates.
[1] COM (2017) 85 final 2017/0035 (COD) Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL amending Régulation (EU) No 182/2011 laying down the rules and general principles concerning mechanisms for control by Member States of the Commission’s exercise of implementing powers
[2] Règlement (UE) no 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission JO L 55, 28.2.2011, p. 13–18
[3] Accord interinstitutionnel « mieux légiférer » du 13 avril 2016, JO L 123/1 du 12 mai 2016
[4] La Commission peut se voir priver de sa liberté de choix dans les cas où la législation de base la contraint à adopter des mesures d’exécution dans un délai déterminée. Dans une jurisprudence antérieure au règlement de 2011, le Tribunal a refusé d’accepter des justifications fondées sur des difficultés procédurales (Arrêt du 26 septembre 2013, Pioneer Hi-Bred International, Inc. C. Commission, T‑164/10, ECLI :EU : T :2013 :503), voir dans le même sens à propos des actes délégués, Arrêt du 16 décembre 2015, Suède C. Commission, T‑521/14, ECLI :EU : T :2015 :976
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Jean Paul Jacqué est un excellent praticien. A suivre
http://lionelscotto.bravesites.com/blog
Un grand merci, Monsieur le Professeur, pour les deux analyses lucides et stimulantes, et en pleine connaissance de cause, de l'avis 2/13.
Excellent commentaire. Invite à une réflexion approfondie de la place et de l'impact d'une telle position de la CJUE sur la société européenne et sur l’État de droit lui-même.