Initiative citoyenne TTIP La revanche

Initiative citoyenne et TTIP

La revanche devant le Tribunal

 

Jean Paul Jacqué

 

 

 

La Commission européenne a refusé d’enregistrer l’initiative citoyenne lui demandant de proposer au Conseil d’abroger le mandat de négociation du traité transatlantique et de retirer la proposition de signer le traité de libre échange avec le Canada (CETA). Le refus se fondait sur une vision juridique étroite de l’objet de l’initiative citoyenne qui est de demander à la Commission de faire une « proposition appropriée sur des questions pour lesquelles des citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités ».

 

Pour la Commission, l’initiative ne concernait pas une acte de l’Union dans la mesure où un mandat de négociation n’est qu’un acte préparatoire qui ne produit des effets qu’à l’intérieur de la sphère institutionnelle de l’Union tant dans les rapports entre institutions qu’entre celles-ci et les Etats membres. Une initiative ne serait recevable que lorsqu’elle viserait un acte  juridique définitif  produisant des effets à l’égard des tiers, c’est-à-dire un acte attaquable devant la Cour de justice. Elle ajoute que l’initiative ne pourrait avoir un effet « destructeur » en demandant le retrait d’une proposition, car elle limiterait son pouvoir d’initiative et constituerait une intervention « inadmissible » dans le processus législatif. Si la fonction de l’initiative est de permettre un débat public pour la première fois, elle ne s’y conformerait pas en visant une intervention dans un débat déjà ouvert.

 

Dans l’affaire T-754/14, le tribunal procède à une déconstruction de la position de la Commission en se fondant sur la vocation démocratique de l’initiative citoyenne. Comme elle le constate, « le but poursuivi par l’ICE est de permettre aux citoyens de l’Union de participer davantage à la vie démocratique de l’Union, notamment, en exposant dans le détail à la Commission les questions soulevées par l’ICE, en invitant cette institution à soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union après avoir, le cas échéant, présenté l’ICE lors d’une audition publique organisée au Parlement, … , partant, en suscitant un débat démocratique sans avoir à attendre l’adoption de l’acte juridique dont la modification ou l’abandon est en définitive souhaité ». Cette analyse fonctionnelle de l’objet de l’initiative, lui permet d’écarter la vision étroite de la notion d’acte retenue par la Commission. Même si le Tribunal s’appuie sur le fait que la lecture du traité et du règlement sur l’initiative n’impose pas une vision aussi étroite de la notion d’acte, il justifie son interprétation par le principe démocratique. Nul n’a contesté au cours de l’instance, le caractère préparatoire de l’acte dont le retrait est demandé, mais « le principe de démocratie, qui … figure parmi les valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union repose, de même que l’objectif spécifiquement poursuivi par le mécanisme de l’ICE, consistant à améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union en conférant à tout citoyen un droit général de participer à la vie démocratique …  commandent de retenir une interprétation de la notion d’acte juridique qui inclut des actes juridiques tels qu’une décision d’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international, qui vise incontestablement à modifier l’ordre juridique de l’Union ». Le critère d’enregistrement d’une initiative réside donc dans la volonté de modifier l’ordre juridique de l’Union. Le fait qu’il s’agisse de retirer une proposition existante et non d’adopter un nouvel acte n’est pas significatif. Puisque une initiative peut concerner une demande d’ouverture d’une négociation, rien ne s’oppose à ce qu’elle touche au retrait d’un acte intervenant dans le cadre d’une négociation puisque l’objectif est également une modification de l’acte juridique. Quant aux arguments relatifs aux atteintes au droit d’initiative de la Commission ou au processus législatif, ils ne sont pas pertinents puisque la Commission reste libre de la suite à donner à l’initiative citoyenne et que le législateur peut s’inspirer du débat public qui lui fait suite.

Le Tribunal fait donc sauter le verrou juridique que la Commission avait placé à l’emploi de l’initiative citoyenne poursuivant l’œuvre entreprise dans l’affaire où il avait souligné l’importance d’une motivation précise des refus d’enregistrement. Compte tenu du nombre des refus d’enregistrement opposés par le passé, la jurisprudence du Tribunal constitue un point départ vers un renouveau de l’initiative citoyenne.