CJUE et Contrelimites

JEAN-PAUL JACQUÉ

LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

ET LA THEORIE DES «CONTRE LIMITES»

 

 

 

SOMMAIRE: I. Prolégomènes. – II. Le jeu de la primauté dans la jurisprudence de la Cour

de justice. – III. L’intégration des contre-limites dans le droit de l’Union. – IV. L’ultima

ratio: l’invocation de l’identité nationale. – V. Conclusion.

 

 

Depuis les débuts du processus d’intégration européenne, la question des rapports entre le droit national et le droit communautaire, puis de l’Union européenne, est resté un des classiques des études juridiques. S’agissant de la législation nationale, la primauté du droit communautaire sur la loi nationale antérieure et postérieure a fini par s’imposer par des chemins différents, selon les Etats, et avec une sécurité juridique plus ou moins grande[1]. Par elle-même, la démarche qui conduit le juge national à reconnaître la primauté n’a rien d’extraordinaire, car elle trouve son fondement dans le droit constitutionnel national qu’il s’agisse d’une clause classique sur la suprématie des traités internationaux ou d’une clause plus spécifique relative à l’appartenance de l’Etat à une organisation dite supranationale. Dans tous les cas la primauté trouve un appui dans la constitution, même si c’est parfois au prix d’une interprétation large de celle-ci. Par contre, les conflits entre le droit de l’Union et le droit constitutionnel national font appel à des solutions différentes en raison des démarches divergentes du juge communautaire et du juge  national qui obéissent chacun à des normes de référence distinctes et suivent des démarches qui leur sont propres.

 

  1. Prolégomènes

 

1. La primauté du droit de l’Union sur le droit constitutionnel national n’est pas un phénomène propre à l’Union. Tout juge international affirmerait de la même manière la primauté du droit international sur le droit constitutionnel national. La primauté n’est donc pas une caractéristique spécifique à l’ordre juridique de l’Union. Par contre, ce qui est original c’est la manière dont s’articulent les relations entre cet ordre et l’ordre national. En droit international classique, la gestion de ces relations relève du droit interne tandis qu’ici elle est réglée par le droit communautaire.

Mettant en oeuvre des rapports interétatiques, le droit international laisse aux Etats le soin de fixer, dans la cadre de leurs règles constitutionnelles internes, les modalités d’application des règles internationales à la seule condition qu’ils en assurent l’application effective. En cas de violation, il appartiendra à l’Etat d’en réparer les conséquences, la sanction pouvant éventuellement intervenir par le jeu de la réciprocité. Par contre, le droit de l’Union ne s’applique pas seulement aux rapports entre Etats membres, mais également dans les relations entre ceux-ci et particuliers, voire entre particuliers eux-mêmes[2]. De ce fait, l’effet direct vient compléter la primauté. Dès lors, les mécanismes classiques du droit international ne permettent pas de répondre aux objectifs du traité puisque, par la bilatéralisation des rapports qu’établirait, le jeu classique de la réciprocité-sanction porterait atteinte tant à l’unité du marché intérieur qu’aux droits que les particuliers tirent du traité[3]. C’est d’ailleurs pour cette raison que le traité établit un système centralisé de sanction.

Même si un tel système n’est pas fréquent dans la société internationale, il est loin d’être novateur puisque, contrairement à la règle fédérale classique, la Cour de justice ne peut annuler une législation nationale contraire au traité[4]. Cependant, la Cour a su, par une utilisation habile des procédures juridictionnelles offertes par le traité, arriver à un résultat équivalent. Certes la procédure de manquement répond encore aux principes traditionnels dans la mesure où la constatation d’un manquement intervient au terme d’un processus qui implique les organes de l’Etat et se termine par un jugement déclaratoire. La mise en œuvre du jugement de manquement appartient aux autorités nationales sous peine de sanctions pécuniaires et de l’éventuelle mise en cause de la responsabilité de l’Etat à l’égard du particulier. Mais, dans ce cas, le schéma classique du droit international subsiste puisque l’ordre juridique national reste intangible, la réparation étant le seul remède. La novation est venue de l’utilisation du système de renvoi préjudiciel. En effet, le recours préjudiciel en interprétation permet à la Cour de justice d’intervenir à titre préventif alors que la situation est encore sub judice au plan national. Le manquement éventuel n’est pas encore définitif et le juge national pourra y remédier en donnant suite à l’arrêt de la Cour. La mission d’appliquer la primauté est dans ce cas confiée au juge national qui devient le juge de droit commun du droit de l’Union[5]. Cette solution limite la dramatisation des conflits puisque ceux-ci n’opposent pas un juge «étranger» aux autorités nationales, mais sont tranchés en dernier ressort par les autorités judiciaires nationales. Encore faut-il que celles-ci acceptent cette mission et écartent l’application des mesures nationales contraires au droit communautaire. Pour ce faire, elles doivent trouver dans leur ordre juridique un titre pour effectuer cette tâche qu’il s’agisse d’une habilitation constitutionnelle mise en œuvre par la ratification des traités communautaires, voire, dans des hypothèses plus rares, comme au Royaume-Uni d’une habilitation législative de portée générale. La conséquence en est qu’en présence d’une règle du droit de l’Union qui serait incompatible avec la norme constitutionnelle, incompatibilité éventuellement confirmée par un arrêt de la Cour de justice revêtu de l’autorité de la chose jugée, le juge national se verra attribuer la responsabilité de faire jouer lui-même la primauté.

 

2. La primauté n’établit pas une relation hiérarchique classique entre le droit de l’Union et le droit constitutionnel national. En d’autres termes, d’après le droit de l’Union, le droit national contraire n’est pas frappé d’invalidité. D’ailleurs, pas plus que la Cour de justice ne peut déclarer une norme nationale invalide, le juge national ne peut se prononcer sur la validité du droit de l’Union. La question ne devrait pas se résoudre en termes de validité puisque chaque juge doit analyser la validité des normes applicables dans l’ordre juridique dont il a le contrôle en fonction des règles supérieures applicables dans cet ordre et ne saurait se prononcer sur la validité des normés émises dans un autre ordre juridique, fut-ce celui de l’Union. Les conflits se résolvent par l’inopposabilité d’une norme dans l’ordre juridique concerné.

 

3. Enfin, si tout juge agit dans le cadre d’un ordre juridique dont les règles s’imposent à lui et dont il tire son autorité, il ne saurait reconnaître la primauté à des normes issues d’un autre ordre à moins d’être habilité à le faire par son propre ordre juridique. Gardien de la primauté du droit, sa légitimité est donc fondée sur son ordre constitutionnel propre. Le statut du droit de l’Union dans l’ordre juridique national est fondé sur la constitution nationale. Dans ces conditions, sauf autorisation expresse de celle-ci, le juge national ne saurait accepter l’application de normes contraires à celle-ci. Dans ces conditions, la théorie des contre-limites apparaît comme étant le fruit d’un compromis visant à accepter la primauté du droit de l’Union dans le respect des dispositions constitutionnelles qui ont permis l’adhésion tout en sauvegardant certaines valeurs fondamentales dont on dira plus tard qu’elles relèvent de l’identité nationale.

 

  1. Le jeu de la primauté dans la jurisprudence de la Cour de justice

 

La jurisprudence de la Cour est sans équivoque en ce qui concerne la primauté du droit de l’Union sur le droit national, y compris le droit constitutionnel, s’opposant ainsi à l’invocation au niveau national de contre-limites dès lors qu’elles ne résultent pas du droit de l’Union lui-même. Mais elle vise aussi à garantir cette primauté sur le droit constitutionnel en organisant et limitant la concurrence potentielle des voies de droit en ce qui concerne son propre rôle et celui des juridictions constitutionnelles nationales.

 

1. Au-delà de l’affirmation générale de la primauté du droit communautaire sur la législation nationale dans Costa/Enel[6], c’est l’arrêt Internationale Handelsgesellschaft qui affirme sans ambiguïté la primauté sur le droit constitutionnel national: «Le droit né du traité, issu d’une source autonome, ne pourrait en raison de sa nature, se voir judiciairement opposer des règles de droit national, quelles qu’elles soient, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même; que, dès lors, l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la constitution d’un Etat membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou son effet sur le territoire de cet Etat»[7].

Cette vision des rapports de système se verra appliquée concrètement dans l’arrêt Kreil dans lequel la Cour écartera l’exception à l’application de la non-discrimination fondée sur le sexe en matière d’accès à l’emploi tirée d’une disposition expresse de la loi fondamentale allemande[8]. Elle trouvera également une expression récente et vigoureuse dans l’arrêt Melloni dans lequel la Cour rappelle sa doctrine[9]. S’agissant de la possibilité pour les Etats membres d’appliquer une norme de protection des droits fondamentaux supérieure à celle garantie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, elle exclut celle-ci dès lors qu’elle conduirait à porter atteinte au principe de primauté et donc à l’uniformité d’application du droit de l’Union. Aussi, dès lors qu’un acte de l’Union contient une disposition impérative et que celle-ci est conforme à la Charte, il est exclu qu’un Etat membre puisse faire valoir un niveau de protection national plus élevé même si ce niveau résulte de l’application d’une norme constitutionnelle nationale. Par contre, en l’absence d’une disposition impérative, la Cour admet que la primauté n’étant pas en cause, la norme constitutionnelle nationale plus protectrice peut être appliquée dans le cadre de la mise en œuvre du droit de  l’Union[10]. Ce dispositif est complété par deux garde-fous. Tout d’abord l’arrêt Simmenthal confie au juge national le soin de veiller à la primauté en écartant les règles nationales contraires[11]. Celui-ci se voit donc placé dans la position d’arbitre entre les exigences du droit de l’Union et celles de son droit constitutionnel national. En outre, il lui est interdit de se prononcer sur la validité d’une norme de droit de l’Union et, en application de la jurisprudence Foto-Frost, doit en cas de doute saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel[12]. Ainsi, même si la Cour avait admis le jeu des contre-limites, ce qui n’est pas le cas, elle en aurait gardé le contrôle par le biais du renvoi préjudiciel. En soi, la jurisprudence Foto-Forst est au minimum un appel au dialogue des juges lorsque se pose la question d’un conflit entre un acte de l’Union et le droit constitutionnel national en ce qu’il permet d’éviter que le juge national ne se prononce lui-même sur la validité de l’acte, fonction réservée à la Cour de justice. C’est d’ailleurs ainsi que la compris la Cour constitutionnelle allemande en saisissant la Cour de justice d’une demande préjudicielle dans l’affaire OMT[13].

 

2. La Cour de justice veille donc avec soin à préserver l’exclusivité de son contrôle. Cette attitude est particulièrement sensible sur le plan procédural lorsque sont simultanément en cause l’appréciation de la conformité au droit de l’Union d’une norme nationale et celle de la conformité de cette même norme à la constitution. Il s’agit d’éviter que le contrôle de constitutionnalité ne se substitue au contrôle par rapport aux traités. Dans l’affaire Melki, la Cour a précisé que le caractère prioritaire de contrôle de constitutionnalité en France ne pouvait conduire àpriver le juge national du droit d’adresser à tout moment une demande préjudicielle à la Cour de justice ou d’adopter des mesures provisoires ou encore de laisser inappliquée la mesure nationale contraire au droit de l’Union[14]. Le juge constitutionnel ne peut déclarer contraire à la constitution une loi transposant une disposition impérative d’une directive en soustrayant à la Cour de justice l’examen préalable de la validité de la directive au regard du droit de l’Union[15]. Mais la situation peut se présenter de manière différente. Dans l’affaire Winner Wetten[16], la Cour constitutionnelle avait censuré la législation relative au jeu du Land de Rhénanie-Nord Westphalie, mais avait maintenu les effets pour une période limitée. La question posée à la Cour de justice était de savoir si ce maintien en vigueur provisoire pouvait persister au cas où la mesure en cause serait contraire au droit de l’Union.

On se trouvait dans la situation que voulait éviter l’arrêt Melki, c’est-à-dire une décision sur la constitutionnalité d’une loi dans le champ d’application du droit de l’Union. La solution la plus simple eut été de purger le contentieux au regard du droit de l’Union et, si besoin, de statuer ensuite sur la conformité de la loi à la Constitution dans la seule mesure où l’Etat disposait d’une marge de manœuvre. Mais ici, cette voie n’était pas ouverte puisque la Cour constitutionnelle s’était prononcée la première ce qui, au regard du droit de l’Union, pouvait aboutir à laisser inappliquée la décision du juge constitutionnel. En l’espèce, la Cour constitutionnelle allemande ne s’était pas prononcée sur la compatibilité avec le droit de l’Union estimant qu’il n’avait pas compétence pour le faire. La législation était simultanément incompatible tant avec la loi fondamentale qu’avec le droit de l’Union et le problème résultait du maintien provisoire des effets de la loi. Or les exigences liées à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union exigeaient l’éviction immédiate de la législation en cause et il appartenait

à la seule Cour de justice de décider si des considérations de sécurité juridique imposait le maintien provisoire de ses effets. Dans la mesure où tel n’était pas le cas, il convenait d’écarter les effets de la décision de la Cour constitutionnelle.

Une dernière hypothèse est celle dans lequel le droit national accorde une valeur constitutionnelle au droit de l’Union. Dans ce cas, le juge constitutionnel pourrait être amené à apprécier lui-même la validité d’une législation de transposition par rapport à la constitution. Cette situation s’est présentée en Autriche puisque la Cour constitutionnelle a placé la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne au rang constitutionnel[17]. Dès lors, le juge national est-il soumis à l’obligation de soumettre un recours incident de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle dès lors qu’une question de conformité à la Charte d’une disposition impérative d’une directive reprise dans la loi de transposition est invoquée? La réponse de la Cour de justice est dans la ligne de celle donnée dans les cas précédents[18]. Le juge national ne saurait être privé de son droit de former une demande préjudicielle à la Cour de justice et il n’appartient pas au juge constitutionnel de se prononcer à priori sur la validité d’une disposition impérative d’une norme de l’Union transposée dans la législation nationale faute de quoi serait mise en cause l’efficacité du droit de l’Union. Ce juge peut bien entendu saisir lui-même la Cour de justice d’une demande préjudicielle. Par contre, il retrouve sa liberté lorsque le droit de l’Union laisse une marge de manœuvre aux Etats membres.

 

  1. L’intégration des contre-limites dans le droit de l’Union

 

Dans la mesure où les contre-limites constituent un risque pour la primauté, la Cour ne peut y rester indifférente et se contenter de répéter le leitmotiv de la primauté d’autant plus que les arguments développés par les cours constitutionnelles sont sérieux. Le dialogue entre les juges constitue un moyen privilégié de trouver un accord, mais il n’est parfois pas suffisant et le recours à une révision des traités est indispensable. Dans tous les cas, il s’agit de désamorcer les conflits en intégrant certaines contre-limites dans le droit de l’Union.

La première illustration du dialogue est celle relative aux droits fondamentaux. Si l’arrêt Internationale Handelsgesellschaft constitue une claire affirmation de la primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel national, mais, dans un souci de dialogue, il comporte également une contrepartie en ce qu’il intègre la protection des droits fondamentaux dans le droit de l’Union au titre des principes généraux du droit: «Le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect … la sauvegarde de ces droits, tout en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communauté». La concession est importante dans la mesure où la Cour reconnaît les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, mais elle s’accompagne d’un caveat relatif aux spécificités de l’Union. Grace à cette formulation, la Cour constitutionnelle allemande acceptera dans Solange II, puis dans l’arrêt Bananes, de tempérer sa position jusqu’à rendre exceptionnelle l’invocation de la contre-limite. Mais ce n’est pas le seul exemple d’une telle intégration. Il faudrait citer la reconnaissance des exigences de l’état de droit dans l’arrêt Les Verts[19] ou du principe démocratique dans l’arrêt Isoglucose[20]. La Cour a su également utiliser les exceptions permises par le droit de l’Union afin de prendre en considération certaines contre-limites. Ainsi, dans l’affaire Omega Spielhallen[21], pour prendre en compte la vision très étendue des conséquences de la dignité de la personne humaine, tout en constatant que cette vision allait au-delà des conceptions communes aux Etats membres, elle accepte celle-ci sur la base de la sauvegarde de l’ordre public en vertu de l’article 46 CE21.

L’intégration se produit également par la révision des traités. Parfois celle-ci prend la forme d’une consolidation de la jurisprudence. C’est le cas en ce qui concerne les droits fondamentaux. L’article 6 TUE introduit à Maastricht reproduit la jurisprudence existante, puis le mouvement s’est amplifié pour aboutir dans le traité de Lisbonne à donner force contraignante à la Charte des droits fondamentaux et à imposer l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme. On peut également noter ce mouvement de consolidation en ce qui concerne les valeurs de l’Union. Le mouvement a commencé par une simple déclaration sur l’identité européenne adoptée à Copenhague le 14 décembre 1973 pour culminer dans l’article 2 TUE du traité de Lisbonne qui reprend les valeurs qui s’imposent tant à l’Union et aux Etats et dont certaines constituaient des contre-limites. Mais, parfois les traités réalisent un pas en avant. Les préoccupations relatives à l’identité nationale figurent comme une simple mention à l’article 6 TUE à Maastricht et connaîtront un développement important à l’article 4 TUE à Lisbonne en incluant l’identité politique et constitutionnelle des Etats membres. Pour essayer de neutraliser la contre-limite relative à l’ultra vires, le traité de Lisbonne a précisé la rédaction de l’article 4 en indiquant que toute compétencequi n’est pas attribuée à l’Union appartient aux Etats membres ce qui peut s’analyser comme un signal adressé à la Cour de justice pour qu’elle se montre plus vigilante en ce domaine.

 

Un autre moyen de neutraliser les possibles contre-limites au moment de la révision des traités consiste, lorsque la Constitution nationale le permet, de faire vérifier la compatibilité de la révision avec la constitution et, le cas échéant, de réviser celle-ci en tant que besoin. Mais le remède n’est pas absolu, car l’incompatibilité constitutionnelle qui peut entraîner le déclenchement des contre-limites n’est pas toujours le fait des dispositions des traités, mais plutôt du contenu du droit dérivé. Dans ce cas, la solution est entre les mains du législateur auquel il appartient au moment de l’adoption de l’acte d’éviter les conflits en aménageant la rédaction de celui-ci. Il s’agit d’un élément classique du travail législatif qui peut s’appuyer sur les études d’impact réalisées en matière de droits fondamentaux. Le résultat est souvent un compromis qui permet de s’affranchir du risque de voir jouer les contre-limites soit parce que le texte prévoit des exceptions, soit parce qu’il permet de tenir compte des particularités nationales. On peut en trouver un exemple dans l’article 19 du règlement sur le programme de recherches Horizon 2020. Pour faire face aux controverses relatives à l’usage des cellules souches embryonnaires dans la recherche, le programme permet le financement de telles recherches, mais prévoit que les projets de l’UE doivent obéir aux lois du pays dans lequel est menée la recherche

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  1. L’ultima ratio: l’invocation de l’identité nationale

 

1. La stratégie d’incorporation dans le droit de l’Union des principes qui font l’objet des contre-limites ne peut couvrir l’ensemble du champ occupé par ceux-ci. En effet, certains principes sont spécifiques à certains Etats membres et, de ce fait, ne peuvent être incorporés dans les traités ou la jurisprudence puisque que, dans ce cas, ils pourraient être opposables de manière générale. D’autres font l’objet d’une interprétation plus large dans certains Etats que dans d’autres et n’ont pas de ce fait une portée générale à l’échelle de l’Union. On peut se référer dans la première hypothèse au principe de laïcité qui s’impose avec force dans des Etats comme la France tandis que d’autres se limitent à reconnaître la liberté de religion sans pour autant imposer la laïcité de l’Etat. Pour certains, la défense de la langue nationale constitue un élément fondamental alors que d’autres sont plus flexibles. Il en va de même en ce qui concerne le statut des minorités. Certains reconnaissent des droits collectifs aux groupes minoritaires tandis que d’autres, au nom de l’unité de la nation, admettent seulement l’existence de droits individuels accordés aux membres des minorités. La seconde hypothèse, celle d’une portée particulière reconnue à certains droits est illustrée par l’arrêt Omega Spielhallen à propos de l’étendue du droit à la dignité de la personne humaine en Allemagne. Depuis d’ailleurs, la Cour constitutionnelle allemande a vu, notamment dans son jugement sur le traité de Lisbonne, dans ce droit un principe sur lequel repose l’architecture politique allemande, notamment les droits du Parlement qui impliquent une participation libre et égale des citoyens.

L’invocation de l’identité nationale, confirmée à l’article 4 du traité de Lisbonne, constitue donc l’ultime protection des contre-limites. Elle permet à la Cour de justice de reconnaître à un Etat membre le droit de se soustraire à certaines obligations des traités. Dans l’affaire Sayn-Wittgenstein, la Cour de justice a eu l’occasion de faire jouer cette disposition en estimant que l’interdiction du port des titres de noblesse en Autriche, bien que constituant une restriction à la liberté de circulation, constituait un élément de l’identité constitutionnelle autrichienne[22]. Comme dans l’affaire Omega Spielhallen, elle a fondé sa décision sur la protection de l’ordre public. Il est vrai qu’elle a aussi justifié celle-ci en voyant dans cette interdiction une expression particulière du principe d’égalité qui est reconnu par le droit de l’Union. La Cour a également reconnu dans la protection de la langue nationale un élément de l’identité nationale dans l’arrêt Malgozata Runevic-Vardyn, mais, ici encore, elle a souligné que la protection de la langue nationale était un objectif reconnu par le droit de l’Union et notamment par la Charte des droits fondamentaux[23]. La question de la définition du contenu de l’identité nationale ne peut être tranchée de manière abstraite. La consécration constitutionnelle est sans doute un indice, mais il n’est pas suffisant. Une simple mention dans la constitution ne révèle pas toujours la nature de l’élément en cause et sa portée. Ainsi, comme le montre la jurisprudence, si la dignité de la personne humaine est certainement un droit reconnu à la fois par l’Union et ses Etats membres, elle est interprétée d’une manière extrêmement large en Allemagne pour des raisons historiques. Dans ce cas, le seul texte de la constitution n’est pas suffisant, il convient de tenir compte de l’histoire et de la culture nationale. En outre la constitution nationale n’est pas le seul révélateur de l’identité nationale et un principe non inscrit dans la constitution peut en faire partie. Il s’agit donc d’une démarche essentiellement casuistique dans laquelle la Cour devra s’appuyer sur la pertinence des arguments fournis par le requérant ou les intervenants. Dans la mesure où il s’agit le plus souvent de justifier une dérogation à une des libertés fondamentales, la question soulevée n’est pas une question de légalité d’un acte de l’Union, mais de non application de celui-ci dans l’Etat concerné.

Même si la Cour accepte l’argument lié à l’identité nationale comme justifiant une dérogation, encore faut-il que la dérogation n’excède pas ce qui est strictement nécessaire à la protection de l’intérêt en cause. C’est ainsi qu’à deux reprises la Cour de justice, tout en admettant que des législations de la région flamande étaient justifiées par la protection de la langue, a considérée qu’elles ne respectaient pas le principe de proportionnalité[24].

 

2. Pour le juge national, le chemin normal devrait donc être de saisir la Cour de justice en invoquant l’identité nationale au lieu de faire jouer les contre-limites. Mais, pour ce faire, il doit tout d’abord considérer que la question relève du champ d’application du droit de l’Union. S’il estime que tel n’est pas le cas, il n’existe aucune raison d’avoir recours aux contre-limites et il se bornera à appliquer le droit national au cas qui lui est soumis. On sait que la Cour constitutionnelle allemande a une vision très limitée du champ d’application du droit de l’Union et a exprimé fermement ses réserves à propos de la jurisprudence Akerberg Fransson[25] qu’elle a considéré comme un cas d’espèce qui ne saurait établir un principe général[26]. De plus, le juge constitutionnel peut estimer à tort ou à raison qu’il n’y a pas lieu d’utiliser le renvoi préjudiciel parce que l’acte de l’Union en cause est clair. C’est la voie qu’a utilisé la Cour constitutionnelle allemande à propos de l’application du mandat d’arrêt européen en cas de jugement in absentia en Italie[27]. Dans ce cas, la seule réaction possible pour l’Union serait l’ouverture par la Commission d’une procédure de manquement de l’Etat membre concerné.

Enfin, nonobstant la possibilité d’invoquer l’identité nationale devant la Cour de justice, le juge constitutionnel national pourrait toujours estimer qu’en dernier ressort la décision définitive lui appartient. C’est en tout cas l’avis de la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision précitée du 15 décembre 2015 en se fondant d’ailleurs sur l’article 4 TUE à la simple différence que cet article ne donne pas le pouvoir ultime au juge national, mais s’adresse à la Cour de justice[28].

  1. Conclusion

 

Le système de l’Union a évolué vers une prise en compte des contre-limites tant par la voie de la jurisprudence de la Cour de justice que des révisions successives des traités. Cette évolution ne semble pas avoir convaincu toutes les juridictions constitutionnelles puisque certaines réaffirment régulièrement leur volonté de préserver le cœur de la souveraineté nationale. On peut analyser cette situation en terme conflictuels ou y voir l’expression d’un dialogue entre juges nationaux et Cour de justice. En fait, à l’exception d’un seul cas[29], les réserves exprimées n’ont pas donné lieu à un refus d’application du droit de l’Union. Ne doit-t-on pas les considérer comme des éléments de dialogue dans lesquels chaque Cour adopte les limites à ne pas franchir avant de les adapter à la position exprimée par la Cour de justice. Ainsi, selon la Cour constitutionnelle allemande, un acte de l’Union adopté ultra vires ne saurait primer sur une règle de droit interne. Mais, après avoir exprimé le principe avec fermeté, dans son arrêt Honeywell, la Cour constitutionnelle a adopté une vision ouverte au droit de l’Union qui doit être apprécié en fonction du principe constitutionnel d’ouverture au droit européen et a jugé qu’il ne saurait y avoir d’ultra vires qu’en cas de violation manifeste du principe d’attribution: «Ultra vires review by the Federal Constitutional Court can moreover only be considered if it is manifest that acts of the European bodies and institutions have taken place outside the transferred competences … A breach of the principle of conferral is only manifest if the European bodies and institutions have transgressed the boundaries of their competences in a manner specifically violating the principle of conferral (Article 23.1 of the Basic Law), the breach of competences is in other words sufficiently qualified (see on the wording “sufficiently qualified” as an element in Union liability law for instance ECJ Case C-472/00 P Fresh Marine <judgment of 10 July 2003> [2003] ECR I-7541 paras. 26-27). This means that the act of the authority of the European Union must be manifestly in violation of competences and that the impugned act is highly significant in the structure of competences between the Member States and the Union with regard to the principle of conferral and to the binding nature of the statute under the rule of law»[30].

Ainsi, l’opposition conceptuelle sur la primauté aurait pu générer de nombreux conflits. Or, jusqu’à présent, il n’en a rien été malgré quelques alertes. Cette coexistence des systèmes est due à la modération réciproque des acteurs. Comme le souligne à juste titre le juge Tizzano: «…tout le système tend à la recherche de points de convergence – et parfois même de compromis – entre les diverses instances juridictionnelles… Il est en fait vrai que chacune d’entre elles est liée à un principe identitaire ainsi qu’à une cohérence intrinsèque qui lui est propre; mais il est tout aussi vrai que jusqu’à présent, elles ont toutes fait preuve de grande sensibilité aux exigences globales du système et à son harmonie »[31].



[1] Voir J.V. LOUIS et TH. RONSE, L’ordre juridique de l’Union européenne, Bruylant,

Bruxelles, 2005

[2] 2 Cette particularité se rencontre également dans les accords relatifs aux droits de l’homme, ce qui explique certaines de leurs spécificités, notamment l’existence d’un système de contrôle propre qui exclut en principe le jeu de la réciprocité. Elle n’a pas été reconnue par la Cour de justice aux règles de l’OMC

[3] 3 CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, Rec., 629

[4] Le vieux principe fédéral “Bundesrecht bricht Landesrecht” ne trouve pas application dans ce cadre.

[5] En effet, les États membres ont, selon la Cour et en vertu du principe de coopération loyale consacré à l’article 10 (ex-5) du traité CE, l’obligation d’abroger la norme nationale incompatible avec le droit communautaire et, dans l’attente, de la laisser inappliquée (arrêt du 24 mars 1988, Commission c/. Italie, affaire 104/86, Rec., 1799). Cette obligation s’impose

à toutes les autorités nationales, y compris les autorités locales ou régionales (arrêt du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo c/. Commune de Milano, affaire 103/88, Rec., 1839), et tout particulièrement au juge national. Comme le note la Cour dans l’arrêt Simmenthal: «Le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».

[6] Arrêt du 15 juillet 1964, ECLI:EU:C:1964:66

[7] Arrêt du 17 décembre 1970, 11/70, ECLI:EU:C:1970:114. Cette jurisprudence est loin d’être étrangère aux réactions des Cours constitutionnelles allemande (29 mai 1974 – 2 BvL 52/71 - BVerfGE 37, 271 - Solange I -) et italienne, quoiqu’avec une plus grande d’ouverture, (27 décembre 1973, n° 183, Frontini et Pozzani) à l’origine des contre-limites.

[8] Arrêt du 11 janvier 2000, C-285/98, ECLI:EU:C:2000:2.

[9] Arrêt du 26 février 2013, C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107.

[10] Arrêt du 26 février 2013, C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107.

[11] Arrêt du 9 mars 1978, 106/77, ECLI:EU:C:1978:49.

[12] Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost / Hauptzollamt Lübeck-Ost, 314/85, ECLI:EU:C:1987:452.

[13] Arrêt de la Cour (grande chambre) du 16 juin 2015, Peter Gauweiler e.a. contre Deutscher Bundestag, C-62/14, ECLI:EU:C:2015:400

[14] Arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188 et 189/10, ECLI:EU:C:2010:363.

[15]   «Avant que le contrôle incident de constitutionnalité d’une loi dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives d’une directive de l’Union puisse s’effectuer par rapport aux mêmes motifs mettant en cause la validité de la directive, les juridictions nationales, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, sont, en principe, tenues, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, d’interroger la Cour de justice sur la validité de cette directive et, par la suite, de tirer les conséquences qui découlent de l’arrêt rendu par la Cour à titre préjudiciel, à moins que la juridiction déclenchant le contrôle incident de constitutionnalité n’ait elle-même saisi la Cour de justice de cette question sur la base du deuxième alinéa dudit article. En effet, s’agissant d’une loi nationale de transposition d’un tel contenu, la question de savoir si la directive est valide revêt, eu égard à l’obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable. En outre, l’encadrement dans un délai strict de la durée d’examen par les juridictions nationales ne saurait faire échec au renvoi préjudiciel relatif à la validité de la directive en cause».

[16] Arrêt du 8 septembre 2010, C-409/06, ECLI:EU:C:2010:503.

[17] Arrêt du 11 septembre 2014, A. contre B. e. a., C-112/13, ECLI:EU:C:2014:2195

[18]  «Avant que le contrôle incident de constitutionnalité d’une loi dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives d’une directive de l’Union puisse s’effectuer par rapport aux mêmes motifs mettant en cause la validité de cette directive, les juridictions nationales, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, sont, en principe, tenues, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, d’interroger la Cour de justice sur la validité de ladite directive et, par la suite, de tirer les conséquences qui découlent de l’arrêt rendu par la Cour à titre préjudiciel, à moins que la juridiction déclenchant le contrôle incident de constitutionnalité n’ait elle-même saisi la Cour de justice de cette question sur la base du deuxième alinéa dudit article. En effet, s’agissant d’une loi nationale de transposition d’un tel contenu, la question de savoir si la directive est valide revêt, eu égard à l’obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable (arrêt Melki et Abdeli, EU:C:2010:363, point 56). Par ailleurs, lorsque le droit de l’Union accorde aux États membres une marge d’appréciation dans le cadre de la mise en œuvre d’un acte du droit de l’Union, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’assurer le respect des droits fondamentaux garantis par la Constitution nationale, pourvu que l’application des standards nationaux de protection des droits fondamentaux ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Melloni, C-399/11, EU:C:2013:107, point 60).

[19]  Arrêt du 25 février 1988, 190/84, ECLI:EU:C:1988:33.

[20] Arrêt du 29 octobre 1980, Roquette frères, 18/79, ECLI:EU:C:1980:149.

[21] Arrêt du 14 octobre 2004, C-36/02, ECLI:EU:C:2004:614.

[22]  Arrêt du 22 décembre 2010, C-208/09, ECLI:EU:C:2010:806.

[23] Arrêt du 12 mai 2011, C-391/09, ECLI:EU:C:2011:291.

[24] Voir à propos de l’obligation d’établir les contrats de travail transfrontaliers en langue néerlandaise, arrêt du 16 avril 2013, C-202/11, Anton Las, ECLI:EU:C:2013:239 et à propos de l’obligation d’établir les factures en langue néerlandaise sous peine de nullité, Arrêt du 21 juin 2016, C-15/15, New Valmar BVBA, ECLI:EU:C:2016:464. Dans les deux cas, la Cour a refusé l’argument de protection de la langue pour défaut de proportionnalité.

[25] Arrêt du 26 février 2013, Åklagaren contre Hans Åkerberg Fransson, C-617/10, ECLI:EU:C:2013:105.

[26] 26 1 BVR 1215 07, 24 April 2013: “As part of a cooperative relationship, this decision

must not be read in a way that would view it as an apparent ultra vires act or as if it endangered the protection and enforcement of the fundamental rights in the member states in a way that questioned the identity of the Basic Law’s constitutional order. The Senate acts on the assumption that the statements in the ECJ’s decision are based on the distinctive features of the law on value-added tax, and express no general view. The Senate’s decision on this issue was unanimous”.

[27]  Order of 15 December 2015 2 BvR 2735/14: «There is no need for a preliminary

request to the European Court of Justice under Art. 267 TFEU. The way in which the Union law must be applied correctly is that obvious that there does not remain any room for reasonable doubts (acte clair). Consequently, there is no conflict between Union law and the protection of human dignity under the Basic Law in the case at hand». Mais cette conclusion est précédée d’une longue analyse justifiant en toute hypothèse sa vision de la légitimité du contrôle du respect de l’identité nationale.

[28]  Dont un passage mérite d’être cité intégralement: «The identity review conducted by

the Federal Constitutional Court safeguards the constitutional identity. As with ultra vires reviews, [identity] reviews may ultimately result in Union law having to be declared inapplicable in exceptional cases. To prevent German authorities and courts from simply disregarding the Union law’s claim to validity, applying Art. 23 sec. 1 sentence 3 in conjunction with Art. 79 sec. 3 GG in a manner that is open to European integration and the legal concept expressed in Art. 100 sec. 1 GG both require that declaring a violation of the constitutional identity is reserved for the Federal Constitutional Court. In substance, identity review is a concept inherent in Art. 4 sec. 2 sentence 1 of the Treaty on European Union (TEU) and does not violate the principle of sincere cooperation within the meaning of Art. 4 sec. 3 TEU. The European Union is an association of sovereign states (Staatenverbund), of constitutions [Verfassungsverbund; sometimes referred to as multilevel constitutionalism], of administrations (Verwaltungsverbund) and of courts [Rechtsprechungsverbund; sometimes referred to as multilevel cooperation of courts], which is founded on international treaties concluded by the Member States. As “masters of the treaties” (Herren der Verträge), Member States decide through national legal arrangements if and to what extent Union law is applicable and is accorded precedence in the respective national legal order. It therefore does not contradict the openness of the Basic Law to European integration if the Federal Constitutional Court, in exceptional cases and subject to strict conditions, declares an act of the European Union to be inapplicable in Germany. The fact that identity review is a concept inherent in the treaties is additionally corroborated by the fact that the constitutional law of many other Member States contains provisions to protect the constitutional identity and to limit the transfer of sovereign rights to the European Union. This does not entail a substantial risk for the uniform application of Union law, as the powers of review reserved for the Federal Constitutional Court have to be exercised with restraint and in a manner open to European integration. To the extent required, the Federal Constitutional Court will base its review of the European act in question on the interpretation provided by the European Court of Justice in a preliminary ruling under Art. 267 sec. 3 of the Treaty on the Functioning of the European Union (TFEU) »

[29]  En l’occurrence, il s’agissait d’une situation très spécifique née de la séparation entre la République tchèque et la Slovaquie et qui était antérieure à l’adhésion de ces Etats à l’Union, voir Pl US 5/12 du 31 janvier 2012 à propos du régime de pension des citoyens tchèques ayant acquis des droits à pension en Slovaquie avant la scission de la Tchécoslovaquie.

[30]  Arrêt du 6 juillet 2010, 2 BrV 2661/06.

[31] La protection des droits fondamentaux en Europe et les juridictions constitutionnelles nationales, Revue du droit de l’Union européenne, 2006, 9