19. avr., 2015

Texte

Le droit pour la Commission de retirer une proposition législative

A propos de l’arrêt du 14 avril 2015[1]

 

 

Jean Paul Jacqué

 

 

 

 

 

L’existence d’un droit pour la Commission de retirer une de ses propositions a, de tout temps, constitué une pomme de discorde entre le Conseil et la Commission. Pour la Commission, le droit de retrait devait être considéré comme un corollaire du droit d’initiative que lui reconnaît le traité. Il s’appuie sur l’article TFUE qui indique que la Commission peut à tout moment modifier sa proposition avant que le Conseil n’ait statué. Le retrait serait l’une des variantes du pouvoir de modification. Dans la mesure où le Conseil peut amender une proposition de la Commission sans l’accord de celle-ci dès lors qu’il statue à l’unanimité, le retrait viendrait tempérer ce pouvoir du Conseil. Pour le Conseil, il ne saurait être question de reconnaître à la Commission ce qui s’apparenterait à un veto législatif. Dès lors que le Conseil réunissait l’unanimité pour amender une proposition de la Commission, cette dernière ne devait pas avoir le pouvoir de faire obstacle à la volonté du Conseil. L’argumentation de la Commission méconnait la philosophie initiale du système.  Si la Commission s’est vue reconnaître le droit de modifier sa proposition, c’est pour lui permettre de rejoindre, si elle de désirait, la position d’une majorité d’Etats membres afin de permettre l’adoption d’une proposition qui n’aurait pas recueilli l’unanimité. Cette situation n’avait rien avec un droit de retrait qui n’avait pas été envisagé par les pères fondateurs[2]

Jusqu’à présent, cette divergence de vues entre institutions n’avait pas provoqué de difficultés insurmontables. Le retrait unilatéral par la Commission a été pratiqué cinq fois, essentiellement lors de la Commission Delors. Les autres cas de retrait étaient plus consensuels. Il s’agissait essentiellement du retrait de propositions devenues caduques ou affectées par un changement de circonstances et il était généralement précédé par des consultations avec le Parlement et le Conseil. La Commission avait également pris l’habitude de procèder à des retraits « administratifs » lors de son entrée en fonction Ceux-ci concernaient des propositions anciennes qui n’avaient pas uscité l’intérêt du législateur. Elle pouvait s’appuyer sur un prétendu principe de discontinuité législative que connaissent de nombreux parlements nationaux et qui est soutenu par le Parlement européen lequel est favorable à la caducité des propositions non adoptées pendant la précédente législature avce des exceptions pour celles adoptées en première lecture ou celles dont il veut poursuivre l’examen. En raison de l’opposition du Conseil, ces retraits étaient généralement précédés des négociations interinstitutionnelles. La Commission Juncker semble s’être affranchie de ces contraintes en procédant à des retraits systématiques concernant des propositions dont le Parlement souhaitait poursuivre l’examen ce qui a donné lieu à controverses[3]. Pour le reste, l’hypothèse du retrait était principalement utilisée comme une menace par la Commission pour écarter des amendements qu’elle ne pouvait partager. De son côté, le Conseil feignait de ne pas craindre la menace et finalement un accord plus ou moins satisfaisant était trouvé. De son côté, le Parlement a d’abord soutenu la Commission dans sa position au point que dans les versions successives de l’accord-cadre entre le Parlement et la Commission, cette dernière s’engageait à retirer une proposition à la demande du Parlement ou à indiquer les motifs du maintien après consultation du collège (point 40, iv). Par contre, dès lors que le Parlement est devenu co-législateur, sa position vis-à-vis du retrait est devenue plus nuancée et, dans la dernière version de l’accord-cadre, il exigeait de la Commission des explications circonstanciées en cas de retrait après un vote du Parlement en première lecture (point 39).

 

Finalement, un certain modus vivendi s’était mis en place. Si le Conseil contestait l’existence d’un droit général de retrait, il admettait la possibilité d’user de cette arme en cas, de changement de circonstances ou de caducité, ou pour toute autre proposition avec l’accord des autres institutions législatives. En cas de risque de dénaturation de la proposition ou d’amendements qui sortaient du cadre de celle-ci, il maintenait ses réserves tout en admettant que, dans ces hypothèses, l’acte adopté aurait été nul puisqu’il portait atteinte au pouvoir d’initiative de la Commission[4]. Le Conseil et la Commission préféraient vivre dans un status quo incertain plutôt que d’ouvrir devant la Cour un contentieux dont l’issue était incertaine et donc potentiellement préjudiciable à chacune des institutions. Il a appartenu au Conseil d’ouvrir le feu.

 

I. Les motifs du conflit

 

Le conflit porte sur les modalités de l’aide macrofinancière aux pays tiers. Auparavant, celle-ci faisait l’objet d’une décision au cas par cas sur la base de l’article 308 TCE (325 TFUE). Aujourd’hui, elle se fonde sur l’article 212 TFUE qui laisse au Parlement et au Conseil le soin d’adopter les mesures nécessaires selon la procédure législative ordinaire. La Commission avait proposé un règlement-cadre sur les modalités de cette aide afin d’éviter des décisions au cas par cas qui compte-tenu des délais nécessaires à la mise en œuvre de la procédure législative, interviennent avec retard. La proposition établissait les conditions mises à l’octroi de cette aide et indiquait que celle-ci serait octroyée par la Commission au moyen de mesures d’exécution prises conformément à la procédure de comitologie dite d’examen.

 

C’est sur ce dernier point que des divergences se sont manifestées. Le Conseil préférait le maintien de la procédure législative tandis que le Parlement qui souhaitait qu’un contrôle démocratique puisse s’exercer souhait le recours à la procédure de l’acte délégué. Finalement, il est apparu qu’un accord pouvait être trouvé entre le Parlement et le Conseil sur la base de la procédure législative. C’est à ce moment que la Commission indiquait qu’il s’agirait d’une dénaturation de sa proposition et qu’elle envisageait de retirer celle-ci, ce qui fut fait par lettre quelques jours plus tard.

 

Le Conseil décidait de saisir la Cour de justice ce qui marque l’importance qu’il attachait à la problématique du retrait puisqu’il peut fréquent que le Conseil se présente devant la Cour en qualité de demandeur. Il est surprenant que le Parlement ne se soit pas porté au côté du co-législateur. Cela peut s’expliquer par la position ambiguë du Parlement à l’égard du retrait. Y étant largement favorable par le passé, il lui était difficile de contester un droit qu’il reconnaît dans l’accord-cadre qu’il a conclu avec la Commission. Cependant, le conflit ne portait pas sur l’existence d’un droit de retrait en tant que tel, mais sur les circonstances de celui-ci, le Conseil lui-même admettant un droit de retrait limité dans des circonstances particulières (caducité d’une proposition, changement de circonstances). Le Parlement aurait donc pu  présenter ces arguments sur ce point d’autant plus que dans le cadre de la procédure législative, le droit de retrait joue jusqu’à ce que le Conseil ait statué, ce qui permet à la Commission soit d’empêcher le Parlement de statuer puisqu’il doit se prononcer avant le Conseil alors même qu’un accord informel aurait été trouvé avec celui-ci, ce qui était le cas en l’espèce, soit de retirer après la première lecture du Parlement, méconnaissant la position de celui-ci.

 

II. La reconnaissance d’un droit de retrait limité

 

Comme il a été dit plus haut, la controverse ne porte pas sur l’existence éventuelle d’un  pouvoir  de retrait, mais sur les conditions dans lesquelles ce pouvoir doit être exercé. Il n’était donc pas difficile tant à l’Avocat général Jaaskinen qu’à la Cour de justice d’estimer que même dans le silence des traités un tel pouvoir peut être liée à celui que détient la Commission de modifier sa proposition avant que le Conseil n’ait statué. D’ailleurs, comme le constate M. Jaaskinen dans ses conclusions, il est un cas dans le traité  où le droit de retrait est expressément envisagé. En effet, le protocole n°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité prévoit dans son article 7 le pouvoir pour la Commission de retirer une proposition en raison des objections formulées par les parlements nationaux. L’argument n’est pas probant s’agissant d’une lex specialis, mais il est intéressant de le mentionner. D’ailleurs, la Cour ne s’interroge guère sur l’existence du droit de retrait qui découle, pour elle, implicitement du traité et de la fonction de la Commission de promouvoir l’intérêt général et de prendre les initiatives nécessaires à cet effet. Le fait que l’évolution de l’Union depuis les traités originels pourrait conduire à une interprétation différente, notamment compte-tenu des modifications de la procédure législative marquée par une accentuation de son caractère démocratique, ne l’interpelle pas. La législation de l’Union n’est plus aujourd’hui le résultat d’un dialogue ou d’un affrontement entre le Conseil et la Commission. L’intervention du Parlement change la donne. Retirer une proposition revient à tuer un accord entre les co-législateurs alors même que ceux-ci ne disposent pas de cet instrument classique dans toute démocratie qu’est le pouvoir d’initiative. L’argument selon lequel le retrait heurterait le principe de démocratie est balayé sans examen approfondi au motif que la Commission possède le pouvoir d’initiative et le droit de modifier sa proposition[5]

 

Si le retrait est possible, il ne s’agit pas d’un retrait discrétionnaire comme le soutenait la Commission en en faisant le corollaire du droit de modifier une proposition. Pour la Cour : « Le pouvoir de retrait que la Commission tire des dispositions mentionnées au point précédent du présent arrêt ne saurait toutefois investir cette institution d’un droit de véto dans le déroulement du processus législatif, qui serait contraire aux principes d’attribution de compétences et de l’équilibre institutionnel ». Ce principe est encadré par un certain nombre de règles tenant aussi bien à la forme qu’au fond.

 

La première de ces règles est celle de la motivation. Le retrait doit également respecter le principe de coopération loyale entre les institutions ainsi que des conditions liées au moment auquel il peut intervenir.

 

L’Avocat général estimait que le contrôle de la Cour ne pouvait porter que sur le respect des règles formelles et ne devait en aucun cas s’intéresser au motif du retrait. En effet, selon lui, un tel contrôle tel celui de la dénaturation de la proposition ne pourrait être exercé que si l’acte avait été adopté. Il invoque à cet égard le fait que, si la Cour annulait les motifs du retrait, elle limiterait en fait le pouvoir d’initiative de la Commission lorsque la procédure législative reprendrait. Selon lui, la Cour ne devrait pas s’immiscer dans le processus législatif. Cette position mérite l’approbation lorsqu’il s’agit d’actes préparatoires (texte résultant de la première ou de la seconde lecture), mais non lorsqu’il s’agit d’un acte produisant des effets définitifs comme le retrait qui met fin à la procédure. Cette position est difficilement compatible avec les propos de l’Avocat général lorsqu’il indique que le retrait ne peut être exercé de façon abusive. Comment contrôler l’absence d’abus s’il n’est pas possible d’examiner les motifs à la base de la décision de la Commission. Cela reviendrait à reconnaître un pouvoir discrétionnaire de retirer une proposition dès lors que ce pouvoir s’exerce dans les limites temporelles prévues par le traité.

 

La démarche de la Cour est classique. Dans la mesure où la décision de la Commission est définitive, elle doit être motivée et il appartient à la Cour d’examiner la motivation[6]. La Cour apprécie en l’espèce le risque de dénaturation et juge qu’en voulant maintenir l’octroi de l’aide par un acte législatif, le Parlement et le Conseil allaient à l’encontre de l’un des buts de la proposition qui était d’accélérer le processus d’octroi de l’aide. Le recours du Conseil est donc rejeté. Au fond, le droit de retrait est donc limité par l’exigence selon laquelle il doit reposer sur des motifs sérieux sous le contrôle de la Cour de justice. L’examen d’une éventuelle dénaturation est peu approfondi et il aurait été souhaitable qu’une balance soit établie entre le besoin d’accélération de la procédure d’octroi des aides et l’amendement proposé par le législateur. En effet, malgré le maintien d’une décision d’octroi par le législateur, le règlement présentait un certain nombre d’éléments de nature à accélérer la procédure puisque les conditions d’octroi auraient été prédéfinis. Accepter le retrait conduit à maintenir une situation dans laquelle chaque décision donne lieu à des discussions législatives sur les conditions. Plutôt qu’une amélioriation partielle, la Commission a préféré le status quo. Ces éléments auraient pu être pris en compte dans l’examen de la Cour. De même, il n’est pas évident qu’au nom même du principe démocratique, les aides doivent être décidées par une procédure comitologie ou par un acte délégué. Une aide à la Tunisie, à la Moldavie ou à l’Ukraine ne méritent-elles pas de faire l’objet d’un débat public et d’un contrôle démocratique plutôt que d’être soumises à des procédures bureaucratiques et peu transparentes ? Le retrait de la proposition pat la Commission peut laisser pense qu’au fond, celle-ci était plus préoccupée par l’accroissemnt de ses pouvoirs que par l’accélération du processus. Mais la Cour pouvait-elle entrer dans ces condidérations ?

 

III. Les conditions de forme

 

Les conditions de formes sont au nombre de deux. Le retrait doit intervenir avant que le Conseil n’ait statué et respecter le principe de coopération loyale entre institutions.

 

S’agissant des limites temporelles dans lesquelles peut intervenir le retrait, la Cour ne donne d’autre indication que celle résultant du traité, c’est-à-dire avant que le Conseil n’ait statué. Mais, au moment où l’article 293 TFUE a été rédigé, le Conseil était seul à statuer et il n’existait qu’une lecture. La Cour ne précise pas à quel moment il est possible de considèrer que le Conseil à statué. Cependant l’article 293 TFUE doit être lu en conjonction avec l’article 294 TFUE relatif à le procédure législative ordinaire. Or il résulte du paragraphe 7 de cet article qu’en deuxième lecture, la discussion ne se déroule plus sur la base de la proposition de la Commission, mais de la position adoptée par le Conseil en seconde lecture. Le seul pouvoir résiduel de la Commission consiste à donner un avis négatif sur certains amendements ce qui obligera le Conseil à statuer à l’unanimité. Aucune référence n’est faite à la proposition intiale de La Commission.

 

Dans ces conditions, il semble clair que le pouvoir de retrait ne peut jouer qu’en première lecture puisqu’ensuite le retrait ne peut affacetr la poursute de la procédure qui se déroule sur une autre base. C’est d’ailleurs l’avis de l’Avocat général.

 

Quant au respect du principe de coopération loyale, il impose que le retrait soit précédé d’un dialogue avec les co-législateurs. Le Parlement et le Conseil ne doivent pas seulement être informés de motifs du retrait, mais avoir été avertis de l’éventualité de celui-ci afin de pouvoir le cas échéant revoir leur position. En l’espèce, l’annonce d’une possibilité de retrait a été faire au cours de trilogues entre le Parlement, le Conseil et la Commission en févriel et en avril 2013. Le retrait est intervenu au début du mois de mai 2013. La Cour en déduit que la Commission a respecté l’obligation de coopération moyale en ouvrant un dialogue, en faisant des propositions de compromis et en ne retirant sa proposition que lorsque l’échec de tout compromis est devenu évident.

 

Ce qui frappe, c’est l’acceptation par la Cour des modes informels de travail adoptés par les institutions dans le cadre de la procédure législative ; A près tout, informer un groupe de travail tripartite informel n’est pas la même chose que d’informer une institution. Mais on peut pense qu’il appartenait aux participants à ce groupe dûment mandatés par leurs institutions de faire rapport à celles-ci de telle sorte qu’elles puissent le cas échéant ouvrir un débat public en leur sein. En effet, les trilogues ne sont pas publics et le compte-rendu de leurs travaux n’est accessible qu’après la fin de la procédure. Le règlement sur l’accès aux documents contient d’ailleurs à son article 4, paragraphe 3, une exception destinée à protèger le processus décisionnel. Il conviendrait de se demander si, dans des cas, tel que celui-ci, la publicité ne s’impose pas afin de respecter le principe de démocratie.

 

Conclusion

 

En fait, si l’arrêt clôt une querelle interinstitutionnelle ancienne, il ne modifie quère la situation existante. La Commission est certes confortée dans sa position, mais ne s’agit-il pas d’une victoire à la Pyrrhus ? Comme bien d’autres armes, le retrait est avant tout une arme dissuasive. C’est la menace du retrait qui est utile pour convaincre une institution de modifier sa position plus que l’usage de cette possibilité qui fait alors table rase de la proposition. Or l’expérience montre que la Commission est rarement disposée à sacrifier sa proposition et qu’elle préfère trouver une solution négociée surtout face à un accord entre le Parlement et le Conseil. Le retrait qui a donné lieu à l’arrêt portait sur une question secondaire et surtout ne contrariait ni le Parlement , ni le Conseil puisqu’il maintenait le processus de décision existant, la simplification des autres éléments de la procèdure d’octroi pouvant être réalisée si on le désirait par des processus informels du type code de conduite ou lignes directrices.

 

Par contre, la Commission est soumise à des nouvelles contraintes. Celles-ci ne pèsent sans doute pas trop sur les cas de retrait pour dénaturation, mais lui rendront plus difficile les opérations de retraits dits de nettoyage administratif. Pour chaque proposition figurant sur la liste de retrait, elle devra motiver celui-ci de manière suffisante et ouvrir un dialogue interinstitutionnel ce qui devrait compliquer les opérations du type de celle à laquelle s’est livrée la Commission Juncker.

 

Enfin, le droit de retrait tel qu’il est organisé par la Cour modifie, comme l’avait vu l’Avocat général, les voies contentieuses. Sans retrait, en cas de dénaturation, il appartient à la Commission de saisir la Cour après l’adoption de l’acte. Après l’arrêt, la Commission peut apprécier elle=même, la légalité de l’acte tel qu’il pourrait être adopté et opérer le retrait. C’est alors au Parlement et/ou au Conseil de constester l’existence d’une éventuelle dénaturation devant la Cour.



[1] Voir le commentaire de cet arrêt par Steve Peers, The Commission’s power of initiative: the CJEU sets important constraints, EU Law Analysis, 14 avril 2015, http://eulawanalysis.blogspot.be/2015/04/the-commissions-power-of-initiative.html

[2] Voir Emilio de Capitani, Commission recent withdrawal of legislative proposals : Easter’s  “house cleaning” or a growing threat to the EU institutional balance ? , European Area of Freedom Security & Justice, FREE Group, 17 mars 2015, http://free-group.eu/2015/03/17/commission-recent-withdrawal-of-legislative-proposals-easters-house-cleaning-or-a-growing-threat-to-the-eu-institutional-balance/

 

[3] Voir Steve Peers, Is it different this time? The Commission’s 2015 work programme, EU Law Analysis, 16 décembre 2014, http://eulawanalysis.blogspot.co.uk/2014/12/is-it-different-this-time-commissions.html

 

[4] Voir en ce sens l’arrêt Eurotunnel

[5]  « Quant à l’argumentation tirée d’une violation du principe de démocratie énoncé à l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE, il ressort de l’article 17, paragraphe 2, TUE, lu en combinaison avec les articles 289 TFUE et 293 TFUE, que la Commission a le pouvoir non seulement de présenter une proposition législative, mais aussi, pour autant que le Conseil n’a pas encore statué, de modifier sa proposition, voire, au besoin, de la retirer. Dès lors que ce pouvoir de retrait de la Commission est indissociable du droit d’initiative dont cette institution est investie et est encadré dans son exercice par les dispositions des articles du traité FUE susmentionnés, il ne saurait être question, en l’espèce, d’une violation de ce principe. Dès lors, cette argumentation doit être écartée comme étant non fondée ».

[6]  « Par conséquent, si la Commission, après avoir présenté une proposition dans le cadre de la procédure législative ordinaire, décide de retirer cette proposition, elle doit exposer au Parlement et au Conseil les motifs de ce retrait, lesquels, en cas de contestation, doivent être étayés par des éléments convaincants. … Il importe, à cet égard, de souligner qu’une décision de retrait intervenant dans des circonstances telles que celles de l’espèce constitue un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation étant donné que, en mettant fin à la procédure législative initiée par la présentation de la proposition de la Commission, une telle décision empêche le Parlement et le Conseil d’exercer, comme ils l’auraient voulu, leur fonction législative, au titre des articles 14, paragraphe 1, TUE et 16, paragraphe 1, TUE ».

3. sept., 2014

Texte

 

La désignation des nouveaux responsables de l'Union

 

 

Après les élections européennes, les fonctions essentielles de l'Union ont trouvé leurs responsables. Même s'il faudra encore attendre l'investiture de la Commission pour que le processus s'achève, on connait aujourd'hui les noms des présidents de la Commission, du Parlement européen, du Conseil européen et de la nouvelle haute représentante pour la PESC

Le président de la Commission

S’agissant du Président de la Commission, le Parlement ou plus précisément les groupes politiques avaient, comme on le sait, décidé d'utiliser les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne pour accroître leur contrôle sur la désignation du président de la Commission. A vrai dire, le traité de Lisbonne ne bouleverse guère le processus, tout au moins sur le plan juridique. Selon l'article 17, le président est, comme auparavant, choisi par le Conseil européen et approuvé par le Parlement. La majorité requise est la majorité des membres composant le Parlement alors qu'avant Lisbonne la majorité relative suffisait. Mais le véritable changement est symbolique. Autrefois, le vote du Parlement était une approbation alors qu'aujourd'hui le Parlement élit le Président. Le changement du terme est riche en signification politique. Il peut donner l'impression que le président ne tire plus sa légitimité des Etats (Conseil européen) et des représentants des peules européens (Parlement), mais seulement de ces derniers. Enfin, le traité impose au Conseil européen de tenir compte du résultat des élections et de procéder aux consultations appropriées. La chose n'est pas nouvelle, car, par le passé, il eut été fort imprudent pour le Conseil européen qui avait besoin de l'approbation du Parlement de ne pas prendre en compte ces éléments, mais aujourd'hui ces précautions politiques ont été transformées en obligations juridiques. Il n'est donc pas étonnant que le Parlement en ait tiré la conclusion que la légitimité du président de la Commission procédait de lui et ait tenté d'accroître son emprise sur le processus.

Afin d’atteindre ce résultat, il reprenait l’ancienne idée, avancée notamment par Jacques Delors, d’établir un lien entre la désignation du candidat à la présidence de la Commission et le résultat des élections. Chaque formation politique européenne désignerait un candidat et les électeurs choisiraient le futur président à travers leur vote pour l’une de ces formations. En reproduisant un système qui est classique dans bien des Etats membres, le Parlement espérait, en personnalisant le scrutin, lutter contre l’absentéisme, exercer une influence décisive sur le choix du président et renforcer la Commission qui bénéficierait d’une légitimité démocratique accrue.

Dans une résolution du 22 novembre 2012, le Parlement demandait aux partis politiques de présenter lors des élections des candidats à la présidence de la Commission lesquels seraient les chefs de file de chaque parti lors de la campagne électorale. Ce conseil a été tout d’abord suivi par les socialistes, ce qui ne saurait surprendre puisque M. Martin Schultz, président du Parlement, en était l’inspirateur et pensait bien en être le principal bénéficiaire. Les libéraux désignaient M. Guy Verhofstadt, président du groupe et ancien premier ministre belge.  Les Verts choisissaient Mm Ska Keller et M. José Bové et le parti de gauche européen, le charismatique leader du parti grec SYRIZA, M. Alexis Tsipras. Pour le parti populaire européen, qui ne semblait guère convaincu de la manœuvre à l’origine, il s’alignait sur les autres formations et désignait, l’ancien premier ministre luxembourgeois et ex-président de l’Eurogroupe, M. Jean-Claude Junker vainqueur d’un scrutin qui l’opposait au commissaire français Michel Barnier. MM. Junker et Verhofstadt  avaient été par le passé des candidats possibles, et bénéficiant d’un certain soutien d’Etats membres, à la présidence de la Commission ou du Conseil européen. M. Junker avait été choisi bien que n’étant pas candidat à un siège de parlementaire européen.

 

La personnalisation du scrutin et les débats entre les « spitzenkandidaten » (pour reprendre la terminologie allemande qui s’est imposée) ne semblent avoir provoqué d’intérêt que dans les pays germaniques, Allemagne et, à un moindre degré, Autriche. Les autres Etats membres n’ont guère été pas avoir été très sensibles au phénomène et leurs chaines de télévision se sont montrées fort réticentes à retransmettre les débats organisés entre les candidats. Comme auparavant, les campagnes électorales sont restées essentiellement nationales. Quant à la participation, elle a légèrement baissé au niveau européen passant de 43% à 42,54%. L’effet de la nouvelle stratégie du Parlement sur la participation semble faible, sauf peut-être en Allemagne où la participation a augmenté de près de 5%.

 

Par contre, l’influence sur la désignation du président de la Commission est difficilement contestable. Dès le lendemain des élections, les présidents des groupes politiques de « l’ancien » parlement de mandaient au président du Conseil européen de soutenir la désignation de M. Juncker, candidat du groupe politique arrivé en tête, sans toutefois disposer de la majorité absolue (221 sièges sur 751). Cette désignation fut évoquée lors de la rencontre informelle des chefs d’Etat ou de gouvernement du 27 mai et M. Van Rompuy fut chargé de conduire les consultations nécessaires. Le Conseil européen des 26/27 juin désignait à la majorité qualifiée M. Juncker, le Royaume-Uni et la Hongrie ne pouvant s’associer aux autres Etats membres. Il est à noter que M. Cameron avait mené une campagne publique contre la désignation de M. Juncker mettant implicitement en balance la participation future du Royaume-Uni à l’Union. C’est la première fois que la désignation du président ne peut se faire à l’unanimité, les vetos britanniques contre MM. Dehaene et Verhofstadt ayant par le passé conduit à choisir d’autres candidats. Le Conseil européen marquait également ses hésitations quant à la procédure suivie indiquant qu’il réexaminerait la question du processus de désignation futur « dans le respect des traités. De même, le Conseil adoptait le même jour un agenda stratégique destiné à encadrer le travail législatif des cinq prochaines années et invitait M. Juncker à en débattre avec lui lors de sa prochaine session. Enfin, le 15 juillet 2014, le président désigné était élu par le Parlement par 422 voix, un résultat qui dépassait largement la majorité qualifiée. A titre de lot de consolation, M. Martin Schultz était réélu président du parlement pour deux ans et demi, ce qui pouvait être vu comme une concession au groupe socialiste dans un souci d’équilibre bien qu’après le mandat de M. Schultz le siège doive revenir à un  membre du PPE.

 

En conclusion, la stratégie du Parlement a-t-elle porté ses fruits et une coutume constitutionnelle est-elle en voie de formation ? Une hirondelle ne fait pas le printemps et il convient d’être prudent à cet égard. Les réticences des chefs d’Etat ou de gouvernement restent forte et il aurait été intéressant de voir ce qui se serait produit si le candidat socialiste qui n’avait pas le soutien affirmé de son gouvernement était arrivé en tête. Aurait-on recherché une majorité alternative ? Le cas de M. Juncker est particulier. Sa personnalité et son expérience lui auraient déjà par le passé permis d’exercer la fonction même s’il subsistaient quelques réticences de la part de certains Etats. Dans ces conditions, il paraissait préférable d’éviter un conflit avec le Parlement. Aurait-ce été le cas avec un autre candidat ? Pour l’avenir, ne serait-il pas préférable que les chefs d’Etat ou de gouvernement exercent leur influence au sein des partis politiques européens aux réunions desquels ils participent pour sélectionner des candidats acceptables in fine par le Conseil européen. Ce serait une manière d’anticiper la désignation dans une optique non conflictuelle.

 

Le président du Conseil européen et la haute représentante pour la PESC

 

Ces deux nominations dépendant du seul Conseil européen même si le haut représentant en sa qualité de vice-président de la Commission est soumis à l’investiture parlementaire collective de la Commission. Cependant, le choix n’est pas totalement libre. Il est soumis à la loi des équilibres politiques et il était évident après l’élection du président de la Commission qu’une de ces personnalité devrait être socialiste. Il convient également de tenir compte des équilibres géographiques. Enfin, le Conseil européen était résolu de procéder cette fois-ci à l’unanimité.

 

En ce qui concerne la présidence du Conseil européen, le nom de plusieurs personnalités avait circulé dont celui de la première ministre danoise, favorite en juillet mais dont l’étoile palissait progressivement. L’ancien président du Conseil italien, M. Letta, était un candidat potentiel, mais il n’avait pas les faveurs de son successeur, M. Renzi, qui l’avait évincé du pouvoir. Le premier ministre polonais, M. Donald Tusk, semblait fort hésitant. Son élection est liée à la force de conviction de la chancelière allemande, mais aussi à la crise ukrainienne. Dans la mesure où l’on reprochait à la candidate italienne, Mme Mogherini, fortement soutenue par son premier ministre une attitude trop peu ferme face à la Russie, le choix de M. Tusk envoie à cette dernière un signal fort. Sa longévité à la tête du gouvernement polonais en fait un familier du fonctionnement du Conseil européen. Enfin, il ne faut pas négliger le symbole que représente le choix d’un homme politique d’un « nouvel » Etat membre et le rôle tenu par la Pologne dans l’Union afin de maintenir le lien entre les membres de la zone euro et les autres. Lors de la négociation du « fiscal compact », le gouvernement polonais a œuvré avec ténacité pour éviter la constitution d’un Europe à deux vitesses. Le lien sera maintenu puisque, de manière un peu paradoxale, M. Tusk a également succédé au président Van Rompuy dans ses fonctions à la tête de l’Eurozone »

 

M. Tusk étant conservateur, le nouveau haut représentant devait être socialiste. La nomination de M. Tusk écartait le ministre polonais des affaires étrangères, M. Sikorski. Restait en lice, Mme Mogherini à quelle, outre ses positions à l’égard de la Russie, était reprochée sa relative inexpérience. Elle remplace M. Ashton qui, elle aussi, était fort inexpérimentée, à sa prise de fonction. Cette dernière a fait l’objet de fréquentes critiques qui portaient tant sur ses qualités personnelles que sur son management du SEAE. En fait, le succès en la matière dépend largement de la confiance que les ministres des affaires étrangères portent au titulaire du poste et ils accordent plus facilement cette confiance à l’un de ceux qu’ils ont côtoyés pendant des années au sein du Conseil. Ce fut l’une des clés du succès de M. Solana. Mme Aston ne présentait pas cette qualité et Mme Mogherini guère plus. Au fond, cela est-il pour déplaire aux grands Etats membres qui souhaitent préserver leur autonomie diplomatique ? De plus, sur les grandes options, le Conseil européen est compétent et, dans ce cadre, le leadership appartient à M. Tusk.

 

Comme avant les élections, les postes de présidents de la Commission et du Conseil européen sont entre les mains des conservateurs et la haute représentante est socialiste. L’attention se porte maintenant sur la répartition des portefeuilles au sein de la Commission, une décision confiée au président, mais dont les Etats membres ne manquent pas de se mêler.