Brexit III

Brexit

On passe enfin aux choses sérieuses ?

 

Jean Paul Jacqué

Professeur émérite à l’Université de Strasbourg

Directeur général honoraire au Conseil de l’Union européenne

 

 

 

Depuis plusieurs années, les incertitudes quant au maintien de la participation du Royaume-Uni à l’Union européennes n’ont cessé de croître. Dans un premier temps, le gouvernement britannique avait mis en avant une exigence de rapatriement de certaines compétences. Cette revendication a été oubliée après qu’une large enquête conduite sous la responsabilité du gouvernement eut montré que le Royaume-Uni s’accommodait fort bien de la situation actuelle et que les reproches portaient davantage sur le respect de la subsidiarité et sur le contenu jugé trop bureaucratique des règles communautaires que sur la répartition des compétences. En outre, il était difficile de soutenir que le Royaume-Uni était systématiquement mis en minorité lors de la prise de décision par ses partenaires. Une étude récente montre que, durant les douze dernières années, il s’est prononcé en faveur des décisions prises par le Conseil dans 97% des cas[1]. Avant les élections, le premier ministre Cameron exposait ses vues sur la réforme dans un discours à Bloomberg qui reprenait certaines idées déjà exposées auparavant. Les élections passées et  les débats sur la loi relative au referendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union largement entamés, l’attention s’est portée sur les changements que le premier ministre souhaitait apporter au fonctionnement de l’Union européenne. Or, sur ce point, l’attente devait durer parce que le premier ministre devait formuler des demandes qui puissent être acceptées par ses pairs au Conseil européen et qui, en même temps, apparaissent aux yeux des opposants à l’Union suffisamment consistantes pour justifier un changement d’opinion de leur part.

 

L’enjeu de la formulation des demandes

 

En effet, M. Cameron s’était placé tout seul, mais non sans raison, dans une situation difficile. La vraie question n’était pas au fond la participation à l’Union, mais le maintien de l’unité du parti conservateur en donnant des gages aux eurosceptiques tout en contenant l’avance du parti eurosceptique UKIP. Sur le plan électoral, le pari a été réussi, mais la suite était plus délicate à gérer dès lors qu’il était nécessaire de formuler de manière plus précise les demandes à adresser à l’Union. Si trop était exigé de l’Union, les risques de succès seraient faibles et l’issue négative du referendum probable parce que M. Cameron aurait obtenu moins que ce qu’il demandait. Si les demandes étaient trop limitées, la crédibilité du premier ministre serait entamée et le résultat pouvait également être négatif. De plus, quel que soit le résultat, le vote des partisans de l’UKIP et des supporters de la frange eurosceptique des conservateurs serait de toute façon négatif. Dans ces conditions, la cible de M. Cameron se situait au centre qu’il devait convaincre indépendamment des opinions partisanes. Il lui fallait une victoire face à Bruxelles, mais pour l’obtenir, il ne peut que présenter des demandes dont il sait qu’elles seront acceptées sur des thèmes mobilisateurs pour l’opinion. Ceci explique qu’il a été indispensable de tester informellement auprès des institutions et des Chefs d’Etat ou de gouvernement la liste qui serait présentée officiellement avant d’accéder à la demande du Conseil européen et d’adresser le 10 novembre une lettre au président du Conseil européen  indiquant « the areas where I an seeking reforms to adress the concerns of the British people over our membership of the European Union ». Le contenu de cette lettre doit être lu en rapport avec le discours délivré par M. Cameron le même jour à Chatham House.

 

En elles-mêmes, les demandes britanniques pouvaient être satisfaites même si certaines d’entre elles devaient donner lieu à des négociations délicates, mais la formulation était suffisamment ouverte pour laisser une certaine marge de discussion. La difficulté est de savoir dans quelle mesure leur satisfaction peut constituer un moteur suffisant pour convaincre l’opinion britannique de voter en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.

 

Des demandes sans surprises

 

La shopping list de M. Cameron n’a apporté guère de surprises si ce n’est peut-être par le caractère détaillé de ses demandes en ce qui concerne ce qu’il qualifie de gouvernance économique, mais qui concerne davantage les relations entre la zone euro et le Royaume-Uni. Si, sous cette rubrique, certaines demandes vont de soi quant elles concernent le fait que le Royaume-Uni ne soit pas affecté par les décisions prises dans le cadre de l’Eurozone et l’absence de discrimination sur la base de la monnaie, il était sans doute plus difficile de reconnaître que «  The EU has more than one currency ». La livre n’est pas une monnaie de l’Union, elle est l’une des monnaies utilisées dans l’Union. Mais, dans l’ensemble, un accord pouvait être trouvé sur le fait que l’application de mécanismes de stabilité financière et de supervision spécifiques à l’Eurozone ne viennent pas perturber la compétence, qui reste nationale, du Royaume-Uni en ces matières. L’accord devait également apporter des réponses aux questions qui se posent au Royaume-Uni à propos de la coopération renforcée pour la mise en place de la taxe sur les transactions financière, mais le souci principal est de préserver le rôle privilégié de la place financière de Londres. Tout dépendait cependant de ce que La lettre appelle « a safeguard mechanism to insure that these principles are respected ». S’il s’agissait d’accorder au Royaume-Uni la possibilité d’entraver les avancées de la zone euro, la demande pouvait difficilement être satisfaite.

 

De la même manière, les demandes relatives à la compétitivité ne soulèvent guère de difficultés. Réduire les caractère trop bureaucratique de la législation est depuis longtemps un objectif supporté par tous et qui s’est récemment manifesté dans la communication de la Commission « mieux légiférer » et dans l’accord institutionnel qu’elle propose de conclure dans ce domaine. M. Cameron réclame que des avancées soit faites dans le domaine de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services ce qui n’est pas une exigence qui puisse susciter des résistances.

 

La troisième demande était plus symbolique, mais politiquement importante pour le Royaume-Uni. Elle vise  la « sovereignty » et couvre trois domaines différents. Le premier est le plus connu et vise la mention d’une « Union sans cesse plus étroite » dans le préambule du traité sur l’Union européenne. Le Royaume-Uni désirait être exempté de cette clause bien qu’il semble y avoir un malentendu sur le sens de cette formule dans le mesure où  M. Cameron semble penser qu’il s’agit d’une Union entre les Etats alors que le traité fait référence à une union entre les peuples ce qui n’a pas la signification « intégrationniste » qu’on lui attribue. Cependant la solution devait être aisée dans la mesure où, même si cette disposition peut, selon le Royaume-Uni, jouer un rôle dans l’interprétation du traité, elle ne constitue pas une obligation juridique. Le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 a déjà apporté une réponse en indiquant que « que la notion d'Union sans cesse plus étroite permet aux différents pays d'emprunter différentes voies d'intégration, en laissant aller de l'avant ceux qui souhaitent approfondir l'intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l'approfondissement ». La difficulté résidait dans le fait que donner satisfaction à cette revendication devait impliquer une révision des traités. Il en allait de même de la volonté de réviser les règles relatives à la participation des Parlements nationaux en étendant et renforçant les règles relatives à la participation des parlements nationaux pour leur permettre de s’opposer à des propositions législatives nationales dès lors qu’un certain nombre d’entre eux le demanderaient. Cependant, ici encore, il n’était pas impossible de mettre en place d’un commun accord un dispositif qui instaurerait ces mesures sans révision des traités. Après tout le compromis de Ioanina et son successeur dans le traité de Lisbonne résultaient de simple décisions du Conseil européen. Dans le même ordre d’idées, la lettre insistait sur la nécessité de trouver des voies pour appliquer pleinement le principe de subsidiarité et, ici encore, après le traité de Maastricht, la mise en œuvre du principe avait été réglée par le Conseil européen. Enfin, le Royaume-Uni souhaitait que soit confirmé le respect de son protocole d’opting out dans le cadre de la justice et des affaires intérieures ce qui ne coutait rien.

La quatrième demande devait susciter davantage de difficultés. Bien que M. Cameron confirme son attachement à la libre circulation des personnes, il souhaitait limiter les mouvements de ressortissants des Etats membres de l’Union vers le Royaume-Uni. A cette fin, dans les futurs traités d’adhésion, la liberté de circulation ne pourrait s’appliquer que lorsque des économies de ces Etats convergeront suffisamment avec celles des Etats membres. Cette proposition qui n’implique pas de révision des traités pouvait être accueillie sous réserve d’approfondissement quant aux critères utilisés. Dans le passé, la mise en œuvre de la libre circulation n’a pas été immédiate pour la Bulgarie et la Roumanie. De même, l’imposition de règles plus strictes pour le séjour ou le retour de personnes condamnées pouvait être réglé par la voie législative, mais il convient de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice laquelle contrôle l’expulsion ou l’interdiction de retour sur la base de la proportionnalité et pourrait estimer que certaines dispositions d’une législation renforcée sont disproportionnées. Beaucoup plus délicate est la volonté de subordonner l’octroi de certains bénéfices sociaux à une condition de résidence de quatre ans. La situation est complexe, mais la jurisprudence de la Cour de justice dans l’arrêt Dano et plus récemment dans l’arrêt Alimanovic a limité les possibilités de « tourisme social ». Les demandes britanniques vont plus loin et visent notamment certains avantages sociaux directement liés à l’emploi. Dans ce cas, une réforme des traités serait vraisemblablement nécessaire et susciteraient les objections de certains nouveaux Etats membres au premier rang desquels la Pologne. C’est la seule question qui était susceptible d’entraîner des débats difficiles et d’une grande technicité.

Dans le discours de Chatham House, le premier ministre évoque plusieurs questions qui ne figurent pas dans sa lettre au Conseil européen. La première concerne sa volonté d’abroger le Human Rights Act et d’adopter une nouvelle loi qui préserverait les principes de la Convention, mais couperait le lien entre les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme. Le Royaume-Uni serait toujours lié par la Convention sur le plan international, mais les tribunaux britanniques ne devraient plus appliquer celle-ci. Quant à la Charte des droits fondamentaux, il met l’accent sur le protocole britannique selon lequel la Charte ne crée pas de nouveaux droits et souhaite que les juridictions britanniques puissent refuser de s’inspirer de la Charte pour appliquer de nouveaux droits ou des droits qui iraient à l’encontre des droits garantis par le système britannique. Il désire également que les juges britanniques puissent se voir reconnaître le droit de s’opposer à l’application des législations de l’Union qui seraient adoptées hors du champ des compétences de celle-ci. Ce faisant, il se référe expressément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande. Il ne s’agit pas bien entendu d’une question qui doive être abordée dans le cadre des négociations sur la réforme de l’Union, mais de questions internes. Elle attestent néammoins de la volonté de dresse une barrière entre les juges britanniques et la Cour de justice de l’Union. Cette dernière a en effet jugé, dans l’affaire N.S., qu’à l’exception des droits sociaux pour lesquels elle ne s’est pas prononcé, les dispositions de la Charte s’appliquaient au Royaume-Uni.

Le résultat des négociations au sein du Conseil européen

Les négociations n’ont pas commencé à la veille du Conseil européen. Dès juin 2015, une task force composée de membres du Secrétariat du Conseil et du cabinet du président Tusk s’est réunie avec des représentants de la Commission et du Royaume-Uni afin d’explorer les scénarios possibles en réponse à d’hypothétique demandes britanniques. En octobre, il a été demandé au premier ministre britannique de présenter ses demandes par écrit. Sur la base de la lettre de David Cameron, des « confessionnaux » se sont déroulés avec les Etats membres et le Parlement européen. Au début de décembre, il est apparu qu’il n’existait pas encore de solutions à toutes les questions soulevées notamment en ce qui concernait la libre circulation des personnes et les avantages sociaux. Les travaux se sont interrompus jusqu’en janvier et ont alors repris principalement sur cette dernière question. Des discussions se sont déroulées principalement avec la Commission et ont conduit à la présentation d’un texte par le président Tusk. Au cours de discussions avec les sherpas, parmi lesquels le Parlement européen était représenté, et au sein du Comité des représentants permanents, le texte a été ajusté avant d’être présenté au Conseil européen. Les négociations au sein du Conseil européen ont porté sur les questions préparées lors de la phase préparatoire et pour lesquelles des solutions avaient été préparées. A l’issue de discussions formelles et informelles, le texte final a été agréé sans aucune modification de dernière minute.

La décision des chefs d’Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen du 19 février 2016, dont la nature juridique sera discutée plus loin, comporte cinq sections : gouvernance économique, compétitivité, souveraineté, prestations sociales et libre circulation, application et dispositions finales. Elle est accompagnée d’une déclaration contenant un projet de décision du Conseil sur les dispositions relatives à la bonne gestion de l’union bancaire et des conséquences d’une intégration plus poussée de la zone euro et d’une déclaration du Conseil européen sur la compétitivité. Trois déclarations de la Commission (mise en œuvre de la subsidiarité et réduction des charges, exportation des allocations familiales, nouvel arrangement relatif à la libre circulation, utilisation abusive de la libre circulation) sont jointes à l’ensemble. Cette décision entrera en vigueur lorsque la décision de maintien au sein de l’Union européenne aura été notifiée par le Royaume-Uni. Il s’agit donc pour le gouvernement britannique d’un « take it or leave it » qui ne saurait donner lieu à une nouvelle négociation comme l’indiquent clairement le point 4 des conclusions du Conseil européen : « Il est entendu que, si l'issue du référendum au Royaume-Uni devait être la sortie du pays de l'Union européenne, l'ensemble des dispositions visées au point 2 cesseront d'exister ». 
Le préambule de la décision indique celle-ci règle les questions soulevées en conformité avec les traités ce qui implique que l’entrée en vigueur de certains éléments est subordonnée à une révision des traités[2]. La décision respecte « les compétences des institutions de l'Union, y compris tout au long des procédures législatives et budgétaires, et sans affecter les relations des institutions et organes de l'Union avec les autorités nationales compétentes ».

  1. Gouvernance économique

Le Royaume-Uni semblait avoir deux exigences essentielles en ce domaine. Tout d’abord, il s’agissait d’éviter toute discrimination due au fait qu’il ne participait pas à la zone euro ainsi que l’assurance qu’il ne serait pas contraint de participer au sauvetage des économies des participants à l’euro zone et ensuite acquérir un contrôle poussé sur toute intégration supplémentaire de la zone, notamment en ce qui concerne les règles communes de l’union bancaire. Ces préoccupations soulevaient des préoccupations non seulement des principaux acteurs de la zone que sont l’Allemagne et la France, mais aussi de la part des Etats du sud de l’Europe, principales victimes de la crise.

Suite à de difficiles discussions, les demandes britanniques ont été partiellement satisfaites. La déclaration repose sur le respect mutuel et la coopération loyale qui implique que les non-membres de la zone n’empêchent pas l’approfondissement de l’Union économique, mais que leurs droits et compétences soient respectés. Toute discrimination fondée sur la monnaie officielle d’un Etat est interdite et les différences de traitement doivent être objectivement justifiées. Au-delà de ces considérations générales, le règlement uniforme[3] qui s’applique à tous les Etats et constitue le socle commun de l’Union bancaire doit garantir des conditions égales de concurrence. S’il devait être conçu de manière plus uniforme, la possibilité de dispositions particulières, concession faite au Royaume-Uni est envisagée. La France s’est opposée à l’emploi des mots « dispositions spécifiques » et cette concession a été contrebalancée par une référence au maintien de conditions égales de concurrence (« preserving the level-playing field »). Les Etats non participants ne seront pas engagés par les mesures d’urgence ayant pour objet de préserver la stabilité financière de la zone et, au cas où ces mesures seraient imputées au budget de l’Union, un mécanisme de remboursement des coûts autres qu’administratifs sera mis en place. Au total, au-delà de la répétition d’éléments qui n’ont jamais été véritablement controversés et sont simplement destinés à rassurer l’opinion publique britannique, la seule véritable avancée consiste en l’affirmation de la possibilité d’adoption de dispositions particulières en cas de développement de l’union bancaire.

Sur le processus de décision au sein de la zone, il était évident que l’exigence d’un droit de veto ne pouvait être satisfaite et le projet de décision du Conseil en annexe II le précise expressément lorsqu’il indique qu’une demande de saisine du Conseil européen est : « sans préjudice du fonctionnement normal de la procédure législative de l'Union et ne peut pas donner lieu à une situation qui reviendrait à autoriser un État membre à mettre son veto » (article 1, paragraphe 3, deuxième alinéa). Tout d’abord, la déclaration confirme que les délibérations de l’Eurogroupe doivent respecter les compétences du Conseil. Ce rappel changera-t-il la pratique actuelle qui tend à vider de sa substance les réunions du Conseil Ecofin, les décisions étant préparées à l’avance au sein de l’Eurogroupe ? Pour répondre aux préoccupations britanniques, il a été fait appel à un système inspiré du compromis de Ioannina. Un Etat ne participant pas à la zone euro peut s’opposer à l’adoption d’un acte relatif à l’Union bancaire à la majorité qualifiée s’il s’agit d’un acte dont l’adoption est soumise au vote de tous les membres de l’Union.  Dans ce cas, une solution satisfaisante doit être recherchée dans un délai raisonnable. Une demande de discussion au Conseil européen peut également intervenir avant le vote au Conseil. Cette procédure est entourée de garde-fous. Tout d’abord, elle est encadrée par les délais prévus dans le cadre de la procédure législative (deuxième et troisième lecture). Ensuite, le Conseil européen décidant par voie de consensus, sa saisine aurait pu conduire à un blocage, mais la précision selon laquelle elle ne peut conduire à un veto écarte cette hypothèse. Cette solution constitue sans doute le seul compromis auquel pouvaient souscrire les membres de la zone sans franchir les lignes jaunes.

  1. Compétitivité

Cette partie de la déclaration n’a guère suscité d’oppositions, l’exigence de compétitivité ayant été rappelée à des nombreuses reprises par le Conseil européen et le Conseil. La déclaration renvoie d’ailleurs aux travaux du Conseil européen sur le sujet[4]. La déclaration privilégie la lutte contre les règles administratives qui créent des charges excessives aux entreprises (« cutting the red tape ») notamment pour les petites et moyennes entreprises et met l’accent sur la subsidiarité. La déclaration jointe de la Commission développe ces points et annonce l’instauration d’un mécanisme sur la subsidiarité. L’ensemble se situe dans la ligne de l’accord interinstitutionnel mieux légiférer et ne comporte pas d’éléments controversés.

  1. Souveraineté

Le débat relatif à la souveraineté était sans doute le plus important sur le plan symbolique. Au fond, il touche une question fondamentale relative au futur de l’Union et qui est au cœur des critiques soulevées par le Royaume-Uni depuis Margaret Thatcher. L’Union européenne évolue-t-elle vers un super-Etat ? Lors de négociations du traité de Maastricht, le Royaume-Uni s’était opposé à l’introduction dans le traité d’une mention faisant référence à une vocation fédérale pour revenir à l’évocation classique d’une union sans cesse plus étroite. Cette fois, c’est à cette notion que s’est attaqué le premier ministre Cameron : « First, I want to end Britain’s obligation to work towards an “ever closer union” as set out in the Treaty. It is very important to make clear that this commitment will no longer apply to the United Kingdom. I want to do this in a formal, legally-binding and irreversible way ».

En principe, cette revendication ne devait pas poser de problèmes puisqu’elle avait déjà été acceptée par le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 qui reconnaissait le droit de certains Etats membres de ne pas poursuivre l’approfondissement. Mais il fallait trouver un équilibre dans la rédaction pour satisfaire ceux des membres qui étaient le plus attaché à cette formule telle la Belgique. La déclaration constate ce qui est évident. Cette formule ne constitue une base juridique et elle ajoute qu’elle ne saurait être invoquée à l’appui d’une interprétation des compétences de l’Union. On doit y voir comme un signal qui s’adresse avant tout à la Cour de justice à l’encontre de tout accroissement des compétences par voie d’interprétation (« competence creep »). Cette impression est renforcée par les passages relatifs aux compétences qui rappellent que la distribution des compétences ne peut être modifiées que par une révision des traités. Ces considérations sont contrebalancées par l’affirmation du droit pour les Etats de suivre différentes voies d’intégration[5]. Il s’agit donc d’un pas de plus vers la consécration d’une Europe plus différenciée et à différents niveaux d’intégration. Pour satisfaire le Royaume-Uni, la spécificité du Royaume-Uni en ce domaine sera mentionnée dans les traités lors d’une prochaine révision. Pour compléter le tableau, les Etats membres rappellent la nécessité de respecter les protocoles 21 et 22 sur les opting out dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice et soulignent que la formule de l’article 4 sur le fait que la sécurité nationale demeure de la seule responsabilité des Etats membres et ne saurait être interprétée restrictivement tout en balançant cette dernière affirmation par une référence aux avantages d’une action collective en ce domaine. S’agit-il d’empêcher la Cour de justice de s’abstenir de vérifier sur le risque d’atteinte à la sécurité nationale est bien fondé et si la restriction fondée sur ce motif respecte l’exigence de proportionnalité[6].

Toujours dans le cadre de ses revendications relatives à la souveraineté, le premier ministre britannique souhaitait accroître la possibilité d’un groupe de parlements nationaux de s’opposer à l’adoption d’une législation de l’Union (« red card »). La déclaration reprend cette suggestion tout en la plaçant dans le cadre du contrôle de subsidiarité. Un groupe de parlements représentant 55% des voix attribuées aux parlements nationaux peut s’opposer à une législation de l’Union par avis motivés émis dans les douze semaines à compter de sa transmission. Dans ce cas, les représentants des Etats membres au sein du Conseil mettront fin à l’examen de la proposition à moins qu’ils ne puissent l‘adapter pour satisfaire aux objections contenues dans les avis motivés. Il s’agit donc d’un « carton rouge » octroyé aux parlements nationaux. Le seuil exigé est relativement important et, au vu de la pratique antérieure, il sera difficilement atteint.

En elle-même, les concessions faites au Royaume-Uni peuvent sembler limitées, mais, sur un plan symbolique, elles sont importantes puisqu’elles marquent un arrêt par rapport au mouvement permanent d’intégration qui a caractérisé l’Union européenne. C’est un changement d’esprit qui ne touche pas seulement le Royaume-Uni, mais qui constituent un précédent alors que les mouvements eurosceptiques connaissent un développement considérable dans l’Union. L’impulsion lancée par les pères fondateurs connaît un moment d’arrêt.

  1. Prestation sociales et libre circulation

Ce point était le plus sensible de tous et il ne fut pas aisé d’arriver à un accord compte tenu de la vive opposition de la Pologne qui agissait comme porte-parole des pays du pacte de Visegrad. La solution était d’autant plus délicate à trouver s’il s’agissait de trouver une réponse aux demandes britanniques, le régime défini pourrait être appliqué par tous les Etats membres. En outre, dans la mesure où une révision des traités ne pouvait être envisagée sur ce point, la réponse devait tenir compte des paramètres définis par la Cour de justice en ce qui concerne la non-discrimination sur la base de la nationalité et les limitations possibles à la libre circulation. C’est sans doute pour cette raison que la déclaration commence par un rappel du droit existant tel qu’interprété par la Cour de justice sous l’intitulé « Interprétation des règles actuelles de l’Union ».

Sur cette base, la déclaration prévoit des modifications législatures de nature à répondre aux demandes britanniques. De son côté, la Commission confirme son intention de proposer les modifications envisagées. Elles touchent deux points essentiels : l’exportation des allocations familiales et un mécanisme de sauvegarde en matière de libre circulation. S’agissant des prestations sociales, il s’agit des cas dans lesquels un travailleur ayant exercé la liberté de circulation touche des prestations familiales pour un enfant resté dans son pays d’origine. Dans ce cas, les prestations familiales pourraient être indexées sur les conditions appliquées dans le pays[7] où l’enfant réside pour les nouvelles demandes adressées par des travailleurs, mais le régime pourra être étendu à partir de 2020 aux situations passées. Ce régime ne pourra être étendu aux autres prestations et notamment les pensions.

Les chefs d’Etat et de gouvernement prévoient la mise en place d’un mécanisme d’alerte et de sauvegarde destiné à faire face à un mouvement d’ampleur exceptionnelle et prolongé de travailleurs d’autres Etats membres. Le mécanisme est déclenché par une demande adressée à la Commission et fondée sur la mise en péril d’aspect essentiels du système de sécurité sociale, de son marché de l’emploi ou du bon fonctionnement des services publics. Sur proposition de la Commission, le Conseil peut autoriser l’Etat membre à limiter l’aspect aux prestations non contributives liées à l’emploi pendant quatre ans. Ce système permettrait de donner progressivement accès à ces prestations au cour du séjour. La Commission confirme son intention de présenter une proposition en ce sens et reconnaît par anticipation que le Royaume-Uni est dans une situation qui lui permettrait de mettre en œuvre le mécanisme.

La Commission présentera également une proposition en vue de mettre fin à l’utilisation abusive du droit de libre circulation par des ressortissants d’Etats tiers mariés avec un citoyen de l’Union ou qui présentent une menace actuelle pour l’ordre et la sécurité publique et s’engage à publier une communication contenta des lignes directrices pour l’application des règles en matière de libre circulation.

Enfin, les futurs traités d’adhésion comporteront, sur le modèle des traités relatifs à la Bulgarie et la Roumanie, des dispositions transitoires relatifs à la libre circulation.

Sur ce point, les satisfactions obtenues par le Royaume-Uni sont importantes, mais est dépendent de l’adoption de mesures de droit dérivé qui seront soumises au contrôle de la Cour de justice[8].

La nature juridique du paquet négocié au sein du Conseil européen

Dans sa lettre au président du Conseil européen, David Cameron souhaitait un accord « that would, of course, need to be legally-binding irreversible – and where necessary have force in the treaties ». A-t-il atteint son objectif ? Il n’est pas aisé de donner une réponse une réponse univoque à cette question. La réponse ne dépend pas seulement de la forme de l’accord, mais du contenu de celle-ci. En effet, le document est complexe et formé de différents éléments : déclarations des chefs d’Etat ou de Gouvernement réunis au sein du Conseil européen, déclaration du Conseil européen, déclarations de la Commission. Quant au contenu, il s’agit soit de mesures claires et précises qui entreront en vigueur lors d’un résultat positif du référendum, soit d’obligations de comportement, soit d’engagements politiques à présenter des propositions dont l’issue dépend de la procédure législative.  Aussi pour apporter une réponse à la question, il convient de mener une analyse croisée de la nature des documents et de leur contenu.

La déclaration en elle-même n’est pas un acte du Conseil européen. Il résulte de son intitulé qu’elle émane des représentants des Etats membres qui en raison de leur qualité disposent de la capacité de négocier et d’engager l’Etat sans avoir besoin de pleins pouvoirs[9]. A ce titre, la déclaration peut être analysée comme un accord entre les Etats membres conclu en forme simplifiée conformément à l’article 2 de la convention de Vienne  sur le droit des traités[10]. Bien que l’enregistrement auprès des Nations Unies ne préjuge pas de la nature du texte, le gouvernement britannique a indiqué qu’il ferait l’objet d’un enregistrement. Cet accord ne lie que les Etats et ne saurait lier les institutions. En atteste la formule plusieurs fois utilisée dans la déclaration lorsque des engagements sont pris : « les représentants des Etats membres, agissant en leur qualité de membre du Conseil ». Alors que le président de la Commission est membre du Conseil européen, elle ne figure pas parmi les auteurs de la déclaration et n’est pas liée par celle-ci. L’accord ne fait pas partie du droit de l’Union et la Cour de justice n’est pas compétente pour sanctionner d’éventuelles violations. Celles-ci devraient être abordée selon les méthodes propres au droit international. En outre, comme le mentionne le préambule, l’accord ne saurait modifier les traités et la volonté de ses auteurs est qu’elle soit interprétée en conformité avec ceux-ci. S’agissant des déclarations de la Commission, elles ne font pas partie de l’accord en tant que tel et doivent être considérées comme des engagements politiques au même titre que les déclarations inscrites à l’acte final des traités.

Si l’on se penche sur le contenu du paquet global, les appréciations quant à leur portée varie en fonction de leur contenu. S’agissant de la gouvernance économique, les engagements relatifs à l’union bancaire lient les Etats membres, mais, au cas où des textes futurs devraient être adoptés selon la procédure législative, le consentement du Parlement ne saurait être considéré comme acquis. La future décision relative à la zone euro mentionnée dans la déclaration annexée des chefs d’Etat ou de gouvernement doit être adoptée par le seul Conseil. Les Etats membres sont engagés à procéder à cette adoption. En ce qui concerne la compétitivité, les textes relatifs à cette matière ne contiennent pas de réels engagements juridiques et sont liés au développement de la politique « mieux légiférer » avec le concours de la Commission. La partie relative à la souveraineté contient un engagement de réviser le traité pour modifier la clause relative à l’Union sans cesse plus étroite ». Les Etats membres étant les maîtres des traités, la mise en œuvre de cet engagement ne pose pas de problèmes. La seule difficulté est d’ordre procédural. En effet, il est nécessaire d’obtenir l’accord du Parlement pour éviter la réunion d’une convention préalable à la révision. Mais l’avis d’une convention ne lie pas les Etats et ceux-ci pourront en tout cas procéder à la révision. Sur l’autre point, la « red card » accordée aux parlements nationaux, il s’agit d’un dispositif qui lie les Etats en leur qualité de membres du Conseil et qui pourra être appliqué sans qu’une autre décision soit nécessaire.

La situation est plus difficile s’agissant des dispositions relatives aux bénéfices sociaux et à la libre circulation. La Commission s’est engagée à présenter des propositions et le concours du Parlement européen sera nécessaire. Il n’est donc pas certain que le contenu de la déclaration soit mise en œuvre telle qu’elle. En outre, il s’agira d’actes législatifs de l’Union soumis au contrôle de la Cour de justice et il n’est pas certain que le système d’alerte et de sauvegarde envisagé franchisse victorieusement les portes du Kirchberg.

Conclusion

Enclenchée pour résoudre des problèmes internes au parti conservateur, le processus de négociation a conduit à un résultat positif grâce à la volonté des Etats membres de voir le Royaume-Uni se maintenir au sein de l’Union européenne. Il est difficile de désigner un vainqueur, mais l’Union telle qu’elle avait été envisagée par les pères fondateur est la principale victime du processus. La réponse aux demandes du Royaume-Uni consiste pour partie en un rappel du droit existant. Pour le reste, les satisfactions accordées ne vont pas aussi loin que ce qui était demandé notamment sur la gouvernance économique. L’instauration de la carte rouge pour les parlements nationaux n’était pas véritablement contestée. Le principal acquis britannique se situe dans le domaine de la libre circulation. En ce qui concerne, l’union sans cesse plus étroite, la déclaration n’a guère de conséquences juridiques réelles, mais, comme on l’a remarqué marque un retour en arrière quant à la vision que l’on pouvait attendre de l’intégration. L’ensemble constitue un pas de plus vers une Europe à plusieurs vitesses. Il faut aussi souligner le caractère de précédent. La voie suivie par la Royaume-Uni pourrait inciter d’autres Etats membres ou groupe d’Etats membres de suivre le même chemin et d’accentuer le processus de différentiation.

L’accord aura-t-il une influence sur le résultat du référendum ? Il est probable que les électeurs britanniques seront désorientés par le caractère technique de son contenu et suivront, selon leur orientation préalable, les interprétations favorables ou défavorables développés au niveau national. L’accord était un élément indispensable dans la stratégie du premier ministre en vue de lui permettre de soutenir la thèse du maintien au sein de l’Union. Il reste à voir s’il jouera un rôle significatif dans la campagne;

 

 

 

 

 

 

 



[1] VoteWatch Europe, Would Brexit Matter ? The UK’s Voting Record in the Council and European Parliament, www.votewatch.eu

 

[2] Voir le point 2 des Conclusions : « Aujourd'hui, le Conseil européen est convenu que l'ensemble des dispositions visées ci-après, qui sont pleinement compatibles avec les traités et qui prendront effet le jour où le gouvernement du Royaume-Uni informera le secrétaire général du Conseil que
Le Royaume-Uni a décidé de rester membre de l'Union européenne, constituent une réponse appropriée aux préoccupations exprimées par le Royaume-Uni »

[3] Directive sur les exigences de fonds propres IV (CRD IV) et le règlement sur les exigences de fonds propres (CRR), directive modifiée relative aux systèmes de garantie des dépôts (DGSD), directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances

[4] Une déclaration du Conseil européen sur la compétitivité est jointe. Elle reprend des thèmes classiques et seul l’accent mis sur les relations commerciales multilatérales mérite d’être mis en lumière

[5] « Les traités permettent aux États membres partageant une telle vision d'un avenir commun d'évoluer vers une intégration plus poussée, sans qu'elle s'applique aux autres États membres ».

[6] Rappelons que trois jours avant le Conseil européen, la Cour de justice s’était prononcée sur ce point au regard, non du traité, mais de la directive 2013/33 sur les mesures d’accueil des personnes demandant la protection internationale et avait considéré que « Une atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne saurait donc justifier, au regard de l’exigence de nécessité, le placement ou le maintien en rétention d’un demandeur sur la base de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33 qu’à la condition que son comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné », arrêt du 15 février 2016, J.N., C-601/15 PPU, ECLI :EU :C :2016 :84

[7] Selon la Commission, il s’agit du niveau de vie et du montant de ces prestations dans l’Etat d’origine

[8] Pour une analyse de cette partie de la déclaration, voir Steve Peers, The final UK renegotiation deal: immigration issues, eulawanalysis. blognote.be

[9] Article 7, paragraphe 2 a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités

[10] « l’expression «traité» s’entend d’un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière »;